La carte, la Régie et le territoire
La bataille pour être la première application mobile de déplacement sur nos téléphones se poursuit. Après SNCF, RATP entre en jeu. Avec quelles chances de réussite ? Newsletter #127
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💌 Vous et moi
(Re-) confinement oblige, je me sens forcé de vous parler encore de mobilité. Cette semaine, un des derniers petits poucets des services de mobilité, le français Mappy, a été racheté par la RATP. Sans doute pour beaucoup moins cher que les 900 millions de dollars qu’Intel a mis sur la table pour Moovit, mais cela nous invite à réfléchir sur ce marché qui fait beaucoup fantasmer en raison de la présence de Google, Apple et autres Citymapper.
Si le sujet des applis de mobilité vous barbe, il y a des choses intéressantes dans les rubriques suivantes (ok, ça parle aussi de cartes et de territoires).
🎯 Cette semaine
La nouvelle est toute fraîche : la solution de guidage multimodale Mappy quitte le giron de Solocal (ex-Pages Jaunes) et rejoint la RATP.
La RATP rachète Mappy à l'ex-Pages Jaunes (Les Echos)
On aurait pu faire un article entier sur l’échec de Solocal, qui en dit long sur les chances françaises de créer un géant de l’internet, mais ce n’est pas le sujet ici.
Interrogeons-nous plutôt à chaud sur cette acquisition. Je vous avertis tout de suite, impossible d’analyser une telle nouvelle sans mettre les mains dans un plat de spaghettis d’acteurs, de logiques et de modèles économiques. Bienvenue dans le merveilleux monde du “MaaS” à la française.
Quelques questions à chaud :
Que vont faire les quelques 70 salariés de Mappy dans la grande RATP et ses 10 000 cadres ? Mappy devrait rejoindre une entité d’études et services appelée RATP Smart Systems, qui compte trois fois plus d’ingénieurs qu’elle. Sans oublier ceux qui travaillent sur ces mêmes sujets chez RATP Group (le siège, qui développe l’appli RATP) et chez RATP Dev (filiale qui gère des réseaux hors Ile-de-France).
L’intégration sera à observer dans la durée : qui va rester, qui va partir, et quelle sera la capacité de la nouvelle entité à attirer des profils. On peut s’interroger sur la cohabitation entre des équipes centrées “produit” comme Mappy (une seule app grand public), et d’autres “services” (création d’apps pour des clients) comme Smart Systems. Pas la même culture, pas le même modèle économique. Nous y reviendrons.
Qu’en est-il de l’intégration technique ? “Mappy est très bon sur la partie cartographie et GPS, il vient de l'univers du trafic automobile, puis s'est diversifié, (…) Tandis que nous, c'est l'inverse : venant du transport en commun, nous avons une bonne expertise de l'information voyageur ou de la billettique » (article Les Echos). Jusqu’à maintenant Mappy utilisait une solution concurrente pour le calcul d’itinéraires en transport collectif (Navitia, développée par Kisio du groupe SNCF). Qui va développer la future “brique” pour la remplacer ? Les services internes du siège ? Instant System (impliqué dans MaaX, voir plus bas) ? Un autre prestataire externe ? Après tout, l’essentiel des briques technologiques sont disponibles et accessibles en open source. Y aura-t-il une seule appli ou plusieurs ? Sachant que RATP développe une nouvelle solution intitulée MaaX (le X c’est pour eXpérience, rien à voir avec les films). Comment « MaaX » aide les Franciliens à se déplacer plus facilement
RATP ne cache pas également ses ambitions d’intégration de la vente de titres dans la prochaine application. En y ajoutant le guidage et les alertes routières, point fort de Mappy, le bouquet de fonctionnalités et de modes offerts propulserait la solution dans une catégorie où se trouvent Google Maps, Apple Plans et quelques autres. Mais nous savons que cette intégration dépend plus de la volonté des réseaux de transport et de problèmes de compatibilité technique entre systèmes. La Loi d’Orientation des Mobilités devrait imposer l’ouverture de leur système de distribution pour juin 2021. On y croit (ou pas).
Intégration des fonctions et de modes de déplacement dans les solutions MaaS - 15marches - Facilitateur de Mobilité - icopilots
Qu’en est-il de la marque Mappy ? Deviendra-t-elle le nouvel étendard de RATP hors de l’Ile-de-France ? Sur l’appstore d’Apple, Mappy est classée 9ème dans la catégorie “Navigation” derrière…Google Maps, Waze, Assistant SNCF, Vianavigo et…RATP. Elle revendique “12 millions d’utilisateurs” (web ou de l’application ?), ce qui serait un beau cheval de Troie à la RATP pour lancer une application générique utilisable sur la France entière. Mais est-ce son projet ?
Restons un moment en Ile-de-France. Comment Vianavigo (développé par Ile-de-France Mobilités, entité publique) qui faisait appel jusqu’à maintenant à Navitia, cohabitera avec MaaX (Instant System et RATP) et donc maintenant Mappy (développé par…?). Sans oublier M2i, autre projet de calculateur soutenu par IDFM et porté par Cityway (Transdev), concurrent de RATP et de Kisio (SNCF)…Et aussi la plateforme de services et de données d’Ile-de-France-Mobilités développée par un grand cabinet de conseil. Ah et j’oubliais VianavigoLab dont…Moovit est le partenaire.
Vous êtes perdu(e) ? C’est normal. Le fameux plat de spaghettis 😉
Peut-être faut-il au final voir dans ce rachat une simple réponse à la montée en puissance de l’Assistant SNCF, dont nous avons parlé dans une édition précédente. Lire l’Art de la guerre numérique.
La désormais-unique-application de SNCF vient d’annoncer une intégration des services de micromobilités, après celle récente d’Uber. De quoi rendre son concurrent envieux. L’assistantSNCF s’enrichit avec de nouveaux partenaires des mobilités douces et partagées
RATP, comme semble l’indiquer son communiqué de presse, s’empresserait d’intégrer elle aussi “13 modes de déplacement” dans ses solutions…Toujours cette recherche d’avoir le plus portail le plus complet.
Fidèles à leur culture très franco-française, les deux plus gros opérateurs nationaux prendraient ainsi prétexte de la “peur de Google” pour se mener une concurrence avant tout locale et financée par leurs marchés captifs. La concurrence à la française.
« Notre ambition n'est pas de se cantonner à une région, mais de faire du multilocal, répond Hiba Fares. (…) Et nous pourrons proposer aux métropoles ou régions qui le souhaitent un système de MaaS clés en main, en marque blanche » (article des Echos cité ci-dessus). Tout ça pour ça.
Au final, on en revient toujours aux mêmes questions sur les choix stratégiques de nos grandsacteursdutransport.fr s’agissant des solutions MaaS :
s’agit-il de construire une application BtoC qui concurrencerait directement Google Maps, Citymapper, Moovit & co, dans le monde entier et en tout cas en dehors de leurs marchés captifs ? On peut en douter au vu des moyens engagés.
ou plutôt de construire une application “portail” centrée sur leurs marchés captifs (réseaux urbains exploités par RATP et TGV pour SNCF) ? Beaucoup plus probable. Avec quel ROI ?
à moins qu’il ne s’agisse au final de s’écharper sur le micro-marché des “systèmes d’information multimodaux” avec des solutions en marque blanche vendues aux régions et grandes métropoles ? Probable aussi, mais le marché n’est pas florissant.
Quoi qu’il en soit, cette acquisition est un bon test pour l’entreprise publique. Faire du multimodal, devenir “multi-local”, gérer de la cartographie, des données routières, des APIs, des applications tierces (comme Blablacar qui est intégré dans Mappy),...c’est pour RATP l’occasion de devenir une véritable entreprise numérique.
Comme nous écrivions il y a un an dans Le MaaS en questions : “le MaaS n’est pas une innovation en soi. C’est la mise à niveau indispensable et attendue des services de mobilité. L’occasion de casser des silos devenus aussi inutiles qu’incompréhensibles à l’ère du smartphone et des plateformes applicatives. En s’intéressant au MaaS, les acteurs du transport entrent enfin de plain pied dans la transformation numérique de leurs activités. Il était temps !”.
À lire aussi : La RATP s'empare de Mappy pour renforcer ses services de mobilité (l’Usine Digitale, plus complet)
🧐 Et aussi
Comment prendre des décisions par ces temps complexes où “toutes les cartes sont en l’air et aucune n’est encore retombée” ? Un investisseur en capital risk partage avec nous sa “matrice de prise de décision”. Il distingue d’un côté les changements positifs des changements négatifs, et de l’autre ceux qui devraient rester après la crise sanitaire, et ceux qui ne sont que provisoires.
Framework for Decision Making. Alex Rampell pour a16z
Contrairement au premier réflexe, il ne cherche pas à investir uniquement dans les “changements positifs qui vont durer”. Les changements “négatifs et provisoires” l’intéressent aussi, car ce sont eux qui devraient se “retourner” avec la fin de la crise et générer les croissances les plus intéressantes. Article inspirant qui donne envie de positionner tous les changements dans les 4 cases et se demander ce qui va bouger. Je vais certainement m’en inspirer pour ma construire ma conférence du 17 novembre.
Framework for Decision-Making in a Time of Change
🤩 On a aimé
On reste dans les réseaux, mais de neurones ici. Quoi de mieux que des images pour comprendre comment fonctionnent les “neural networks”, ces technologies d’intelligence artificielle qui permettent aux machines de reconnaître des images qu’ils n’ont jamais “vus” avant ? Sujet technique mais essentiel notamment pour les véhicules autonomes. How neural networks build up their understanding of images
Connaissiez-vous la célèbre citation de Steve Jobs :“l’ordinateur est le vélo de l’esprit” (a bicycle for the mind) ? Ce passionnant article nous apprend que ce n’est pas la seule fois que le co-fondateur d’Apple a utilisé la métaphore du vélo pour expliquer sa vision de l’ordinateur personnel. Passionnant et bien documenté. “Bicycle for the Mind”
Et les piétons ? Ils ont droit aussi à des modèles mathématiques pour optimiser leur manière de se mettre en file d’attente, autrement dit de “faire la queue”. C’est aussi de la mobilité. A Full Guide to Waiting Line Models and Queuing Theory
Le meilleur pour la fin : une très instructive vidéo sur le redesign du célèbre plan de métro de New York. Il est désormais dynamique ! On peut y voir en temps réel bouger les rames. Historique des versions, sémiologie graphique, gestion des typographies et des données : à voir ! The Map (vidéo)
Les plus érudits d’entre vous auront reconnu dans le titre de ce post un clin d’oeil au roman de Michel Houellebecq La Carte et le Territoire, qui a reçu le prix Goncourt il y a tout juste 10 ans. “Régie” fait référence au “R” de RATP mais vous le saviez déjà ;-)
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À la semaine prochaine.
Stéphane
Merci pour ces liens toujours aussi intéressants. La vidéo finale sur la carte du métro de New York : Top ! Cela m'a fait pensé à l'émission Abstract : l'art du Design de Netflix, dont certains épisodes valent vraiment le coup d'oeil.
Super, merci!