🍕 Pizza as a Service
Rien de mieux qu'une métaphore gastronomique pour expliquer les dessous de la transformation numérique. Bonne dégustation ! #170
👨🚀 Tous les mardis, Stéphane décrypte l’impact de la transformation numérique sur l'économie et la société.
Vous êtes désormais 3671 à suivre cette lettre. Merci et bienvenue aux nouveaux !
Pas encore abonné•e ? Inscrivez-vous pour recevoir chaque semaine une nouvelle édition dans votre boîte mail.
💌 Vous et moi
En 2014 un ingénieur de Google publiait sur LinkedIn un article qui allait faire le tour du monde. Il y utilisait brillamment l’analogie de la pizza pour décrire les différentes formes de services proposés sur le cloud : préparée chez vous, à emporter, au restaurant,…“Pizza as a Service” allait devenir une référence pour expliquer ce que signifiait le terme Software as a Service ou SaaS.
Cette représentation nous semble toujours pertinente pour comprendre comment « le logiciel dévore le monde ». Nous vous proposons d’en analyser les principaux fondements et conséquences. Rassurez-vous nous n’allons pas vous parler d’informatique (ou si peu…) mais de la manière dont l’utilisation du numérique et des télécommunications a changé la manière de créer de la valeur. Plus précisément, comment des entrepreneurs s’en sont servis pour modifier profondément la manière dont sont produits, distribués et utilisés les principaux biens et services aujourd’hui.
Comme toujours, des liens en plus si vous souhaitez approfondir, et une belle compilation de liens sympas à découvrir sans modération dans la rubrique “on a aimé”.
🎯 Cette semaine
Un sujet qui nous a marqué
On parle de Software as a Service lorsque l’on peut utiliser un logiciel, un système d’exploitation et une infrastructure qui ne sont pas “installés” là où vous travaillez. Cette solution s’est généralisée progressivement avec le cloud computing et la connectivité.
Le suffixe - aaS recoupe en réalité de multiples solutions selon le degré de “dégroupage” des logiciels, du matériel et de l’infrastructure. Le “dégroupage” - unbundling en anglais- est un terme qui s’applique autant aux aspects techniques, fonctionnels que stratégiques. Cela revient à séparer une activité en briques fonctionnelles et se demander celles qui pourraient être faites ailleurs, par d’autres.
🍕 Le célèbre schéma de Pizza as a Service a longtemps servi à illustrer les solutions de dégroupage de l’informatique en prenant l’exemple du dégroupage d’un repas entre amis.
Nous vous l’avons traduit ci-dessous. Les fonctions en bleu foncé sont celles confiées à d’autres prestataires. À gauche, on fait tout chez soi. À droite, on arrive au cocktail et tout est prêt (sauf votre conversation).
Source : Albert Barron, traduction 15marches
Pour les puristes de l’informatique (je vous vois !), les colonnes du schéma Pizza correspondent aux différentes formules de cloud computing que vous trouverez ci-dessous. On distingue l’hébergement (hosting), l’Infrastructure as a Service, le Platform as a Service et le SaaS. Selon le niveau de dégroupage.
Sources : variées.
Pour vérifier si vous avez bien suivi : dites-moi à quoi correspond le SaaS dans le schéma Pizza ?…Réponse : Software as a Service = Cocktail 🍹
La notion de SaaS a en réalité quasiment disparu du vocabulaire tant elle est devenue la norme : on se connecte à une adresse en ligne depuis n’importe quel écran, on entre ses données et c’est parti. Vous utilisez du SaaS tous les jours sans le savoir.
Ce qui est intéressant pour notre sujet est que la possibilité de rendre un actif as a Service s’est étendue bien au-delà du monde informatique. Les entreprises numériques n’ont eu de cesse de séparer le service offert de la propriété de l’actif nécessaire à la réalisation de ce service. Pensez aux hébergements touristiques, aux trajets à partager, aux médias,…Ce modèle ne doit pas être confondu avec la dématérialisation : on peut dégrouper sans numériser, et on peut numériser sans dégrouper.
Restons dans l’alimentation, avec un exemple concret.
🛒 Nous avons listé ici les différentes manières de gérer les étapes successives d’un achat dans la distribution. Imaginez que vous devez faire vos courses...
Le tableau décrit les étapes de la prise de commande à la consommation d’un produit, sans oublier le recyclage, que nous avons appelé ici reverse logistic pour faire plus stylé.
Repérez ici toutes les fonctions qui peuvent devenir -as-a-Service.
🤓 Si nous étions en atelier ensemble, je vous ferais travailler sur le dégroupage de votre propre activité. Vous seriez surpris du nombre de possibilités offertes par le dégroupage de fonctions jusqu’alors réalisées en interne. Vous y retrouveriez d’ailleurs sans doute vos principaux concurrents “nouveaux entrants”…
Pour les fans de calcul, le dégroupage du magasin présenté dans le tableau ci-dessus offre 6*9*8*11*7*7 = 232 848 possibilités. Gardez juste ce chiffre en tête chaque fois qu’on vous parlera d’omnicanal ou de phygital comme s’il s’agissait d’une seule alternative.
Pour les fans de français, acceptez nos plates excuses pour l’usage immodéré de termes anglais. C’est comme ça qu’on parle dans la distribution, baby.
💡 Quelles sont les conséquences pour les différentes parties prenantes de ce changement de modèle ?
Usages et expérience utilisateur
Souvenez-vous de “The Social Network” quand l’étudiant Zuckerberg doit emprunter 300$ à son futur associé pour acheter en catastrophe un serveur supplémentaire. La génération de startupers qui l’a suivi n’a jamais eu ce type de problèmes. Les barrières à l’entrée sont abaissées avec le paiement à l’usage, souvent sans plancher minimum. La souplesse est également beaucoup plus grande pour les entreprises en croissance qui peuvent “encaisser” des hausses très rapides de demande grâce à ces solutions (comme nous chaque mardi matin 😅). En revanche “transformer la possession en usage” suppose d’apporter une expérience utilisateur la plus simple possible et mettre des garde-fous. Pensez à votre propre logement si vous deviez le louer demain matin sur Airbnb.
Cibles et modèle économique
D’un point de vue financier, le modèle de services privilégie les dépenses de fonctionnement au détriment des dépenses d’investissement (on parle d’OPEX et de CAPEX : essayez ça va épater votre Directrice Financière). On ne paie que ce que l’on utilise, plus besoin de bloquer du capital au départ. Pas d’effets de seuil non plus (changer de locaux, acheter des véhicules,…). Ceci suppose pour le fournisseur de disposer d’un accès au capital plus aisé que ses utilisateurs. Les flux de revenus seront différents : aux ventes se substituent des revenus réguliers mais plus faibles provenant des abonnements ou du paiement à l’usage. Les risques sont répartis de manière totalement différentes.
Maintenance et mises à jour
Pour paraphraser Intuit dans ses premières publicités : “faites ce que vous aimez, on s’occupe des trucs pénibles pendant ce temps”. Le fournisseur fait siens tous les sujets de conformité, paperasse, entretien, maintenance,…qu’il vous facture évidemment dans le tarif du service. Cela permet là aussi de démarrer sans moyens dédiés à ces tâches. Le défi pour le fournisseur est de limiter l’impact de ces opérations : Tesla par exemple profite de la recharge du véhicule pour installer des mises à jour de ses logiciels.
Relation client et marketing
Autant le dire tout de suite : ce sont deux métiers, et même deux cultures différentes. Ce n’est pas pour rien que quasiment tous les constructeurs automobiles ont échoué dans le “serviciel” - autopartage, VTC,…Le modèle de vente est centré sur…la transaction. Des relations peu fréquentes à gros enjeu, arrosées de publicité. Le modèle de services nécessite lui une relation sur la durée. Le fournisseur doit établir un lien de confiance, entretenu régulièrement et sans faille. Pas grand chose à voir avec “vendre une voiture tous les 8 ans et sous-traiter la suite”. L’avantage du service est aussi la capacité de rétention plus forte que la vente : on hésite à s’abonner, mais ensuite on oublie souvent de se désabonner.
Données et personnalisation
Le modèle serviciel permet de savoir comment votre client utilise le produit que vous lui avez mis entre les mains. Pour personnaliser l’expérience et la simplifier. Pour proposer aussi des services additionnels - on parle de cross selling et up selling - pertinents. Dans l’exemple plus haut, le magasin peut proposer la livraison, la recommandation, le retour du produit, sa revente,…qu’il gère lui-même ces services ou les confie à un prestataire. Le service génère le service. La modélisation enfin de l’ensemble des données collectées permet d’analyser, prédire, tester et modifier en permanence l’offre.
Le passage d’une grande partie de l’économie sur le modèle -as-a-Service est une évolution majeure de la manière de concevoir, produire et distribuer une expérience à ses utilisateurs. Nous espérons vous avoir aidé à mieux la comprendre et peut-être, à la mettre en oeuvre. L’appétit vient en mangeant.
🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec le sujet traité cette semaine.
L’article à l’origine de l’analogie pizza/cloud : Pizza as a Service 2.0.
En fait non, le premier article (version 1.0.) était ici. Pizza as a Service LinkedIn
Une application concrète dans la restauration avec l’évolution de la chaîne de pizzerias Dell’Arte. On voit aussi toute la difficulté des journalistes à qualifier ces changements. Dell’Arte fait sa révolution et casse les codes.
L’application du concept “as a Service” à la mobilité : Le MaaS en questions
La création d’Amazon Web Services. Naissance d’une plateforme
Le modèle Amazon qui est basé entièrement sur ce concept de dégroupage. Amazon, l’empire invisible
🤩 On a aimé
Nos trouvailles de la semaine, en vrac
À la recherche du temps perdu…
Le port de conteneurs de Los Angeles, l’un des plus grands du monde, est totalement congestionné. Les navires de marchandises y mouillent jusqu’à 17 jours en attendant de pouvoir décharger. Avec des conséquences en cascade. Ships Keep Coming, Pushing U.S. Port Logjam and Waits to Records
Pour comprendre l’ampleur du problème, un retour aux fondamentaux est nécessaire : comment fonctionne la logistique des conteneurs. On y apprend notamment que le coût journalier d’un porte-conteneur est de 100 000$. Quand la mondialisation se grippe. A Brief Introduction to Container Logistics
Le transport public a lui aussi longtemps souffert du temps d’attente pour le passager, considéré comme du temps perdu. Comment rendre ce temps utile, voire agréable ? Avec le véhicule électrique, ce problème gagne les utilisateurs de voiture individuelle, au moins sur les longues distances. Intéressant de voir comment Tesla envisage le sujet, en proposant une “expérience de charge (électrique)”. Les utilisateurs de ses Superchargeurs auront notamment accès à une connexion internet à très haut débit. Une belle illustration des concepts exposés plus haut : penser “services” vs penser “infrastructures”... Tesla starts deploying Starlink satellite internet systems at Supercharger stations
Justement, quel est le temps que l’on perd à aller au bureau (ou économise à ne pas y aller) ? Facile à calculer sur une journée, mais sur toute une vie ? Ce calculateur vous aide à trouver. How much of your life will you lose by going back to the office? Try our calculator.
Connexion internet, télétravail, mondialisation…Découvrez cette carte interactive des câbles sous-marins du monde entier. Vous y découvrirez notamment d’où partent ceux qui relient la France au reste du monde. Submarine cable map
Pour terminer un bel exemple de growthhacking : ce prof de maths a décidé de poster les vidéos de ses cours sur… Pornhub afin d’attirer des étudiants vers ses leçons en ligne. Gros succès avec plus de 20 000 abonnés et 1,7 million de vues. Je vous épargne tous les jeux de mots qui me sont venus à l’esprit 😬 On Pornhub, Math Teacher Makes His Mark Teaching Calculus
C’est fini pour aujourd’hui !
Si vous avez appréciez cette lettre, mettez un 💙 pour nous encourager ou envoyez-nous un petit mot. Merci !
Et n’oubliez pas la seconde newsletter de 15marches :
👩🏻🚀 Tous les jeudis, Noémie raconte *les futurs possibles* en fiction.
Pour ma part je vous dis : à mardi prochain !
Stéphane