Adopte un bus
Oublié, décrié, déclassé, le bon vieil autobus est pourtant la solution qui nous tend les bras pour réduire le bilan carbone de la mobilité #217
👨🚀 Tous les mardis, Stéphane décrypte l’impact des technologies sur l’économie et la société... En savoir plus sur cette lettre : À propos
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💌 Vous et moi
Les dernières années ont vu le renouveau du vélo, cette invention vieille de 200 ans longtemps sacrifiée sur l’autel de la voiture reine. À la fois simple, peu coûteux et garanti 0 émission, le vélo est devenu tendance. Le très technophile Wired titrait même il y a 4 ans sur le vélo, véhicule du futur, le comparant à la voiture autonome.
Oui mais voilà, le vélo, malgré tous ses autres bénéfices, ne peut pas grand chose pour réduire les 30-et-quelques pourcent de part des émissions de CO2 liées au transport en France. La faute aux distances parcourues, qui restent très faibles à vélo comparées à celles en voiture - moins de 1% des kilomètres parcourus pour être précis. Ok, alors, que faire pour réduire les émissions de 99 autres pourcents ?
Et bien, cela peut paraître assez surprenant : l’invention la plus efficace pour réduire nos émissions de CO2 n’est ni le train magnétique ni la voiture volante, c’est…le bus.
Ne reculant devant rien pour vaincre votre scepticisme, j’ai décidé de consacrer cette édition au mal aimé de la ville, au déclassé de l’imagier des transports, à celui qu’on croise et qu’on ne regarde pas : notre bon vieil autobus.
Alors laissez vous transporter, et merci d’avancer vers le fond du véhicule 😊
🎯 Cette semaine
À chaque lettre un nouveau sujet décrypté : cette semaine le bus plein d’astuces
Qu’est-ce qui pèse 10 tonnes, qui a 4 roues et a été inventé il y a 200 ans à Nantes ? Non ce n’est pas l’une des célèbres Machines de l’Ile : c’est l’autobus qu’on guette le matin en regardant l’heure.
D’abord tracté par des chevaux, son développement a suivi le déclin des tramways et l’avènement de l’automobile à partir des années 50. Les villes devaient alors “s’adapter à la voiture”, et le bus a profité de la croissance formidable du réseau routier. Depuis les années 80 et le retour du tramway, le bus peine cependant à trouver grâce aux yeux des élus et du grand public.
Alors qu’il est capable de transporter 100 personnes avec la consommation de trois gros 4x4, notre cher autobus fait grise mine.
Le mal aimé du bitume
Obligé de partager ses couloirs avec vélos et trottinettes, repoussé hors des centre-ville, il ressemble à l’ours un peu gênant des dessins animés : personne ne le déteste ouvertement, mais on aimerait bien qu’il prenne moins de place. Surtout, notre premier de corvée souffre de la concurrence de modes de déplacement plus “inaugurables” : le tramway et le métro, voire le téléphérique dont les chroniques emplissent les pages locales des prémices au lancement. Mais qui se soucie du bus ?
Alors on les habille d’artifices et de préfixes sensé faire oublier qu’ils ne sont “que” des bus : trambus, chronobus, ou pour les moins inspirés “BHNS” pour “bus à haut niveau de service”. Difficile de faire moins rêver.
Erreurs de jeunesse
Pourquoi tant d’indifférence ? Je ferais remonter la genèse de ce dédain à nos vertes années. Saviez-vous que jusqu’à la fin du 20ème siècle il était parfaitement légal d’asseoir 3 enfants sur 2 sièges d’autocar ? Le transport des enfants a longtemps été considéré comme un poste de coûts qu’il fallait optimiser. Est-ce vraiment étonnant qu’arrivés à l’âge de décider, ils préfèrent prendre le vélo, le scooter et plus tard, la voiture ? Alors le bus rame pour reconquérir aujourd’hui celles et ceux qu’il a si peu choyé hier. On a pas deux fois l’occasion de faire une bonne première impression.
Le blues du bus
Il faut dire que le bus fait beaucoup pour qu’on le déteste. Alors que les stations de métro sont “gravées” dans la ville, les lignes de bus sont des fantômes. L’information voyageur semble ignorer l’existence d’internet et du mobile. La taxonomie des lignes, le design de l’information et le nom des arrêts relèvent souvent de Kafka. Les arrêts justement, conçus pour qu’on n’y reste pas, sont posés dans la ville comme des accessoires provisoires. Ensuite il faut monter rapidement - par la porte avant s’il vous plaît - devant un conducteur pressé qui ne prend pas la carte bancaire. Une fois à bord commence le jeu d’équilibriste pour trouver une place, la quitter ou s’agripper à un poteau dont on sera régulièrement délogé. Pas vraiment surprenant que personne ne chante son amour du bus.
Marché de niche
Avec à peine 6 000 immatriculations par an, le marché des autobus est un marché minuscule en volume, qui plus est soumis la plupart du temps à des commandes publiques émiéttées. Difficile d’en faire un terrain d’innovation pour les constructeurs. Alors on fait dans le pratique, le durable et le robuste. Raymond Loewy a inventé le fameux “tissu moucheté” dont la vertu est facile à imaginer. Écrans, capteurs et caméras ont bien été installés mais tout est fait pour éviter le contact avec le chauffeur et les autres passagers. Heureusement que ces derniers ont leurs propres téléphones pour passer le temps.
Chacun cherche son chauffeur
Le principal pourvoyeur de permis poids lourds a longtemps été le service militaire. Les hommes en sortaient avec le précieux sésame pour ouvrir les portes de sociétés locales qui recrutaient à tour de bras. On y restait souvent toute sa carrière.
Les choses ont bien changé depuis, et la profession a du mal à attirer les jeunes. Passer son permis est difficile. Le métier a mauvaise réputation. Les horaires s’accommodent mal des nouveaux modes de vie. Sans vouloir me risquer dans le débat actuel sur les retraites, il peut paraître paradoxal de rogner aux chauffeurs des avantages sociaux qu’on leur redonnera certainement dans peu de temps pour les attirer. Et encore il faudra sans doute réinventer totalement le métier pour le rendre moins “mécanique” et plus humain.
La crise du commun
Mais revenons aux voyageurs. Les “réseaux” peinent à retrouver leur clientèle d’avant le COVID. Cette désaffection peut s’expliquer en partie par les nouveaux rythmes de travail. Mais le mal semble plus profond. La pandémie a accentué certaines tendances à l’individualisme et au rejet des formes non choisies de “collectivisme”. Nous avons évoqué dans cette lettre la désaffection des piscines municipales et des boîtes de nuit, les nouvelles formes de sociabilité qui privilégient l’entre-soi et la disparition pure et simple des enfants de l’espace public. Le succès des vélos et trottinettes en est une autre manifestation. Mettez tout cela bout à bout, et vous aurez une ville dans laquelle on ne circule que d’une “bulle” à une autre, guidés par des terminaux personnels infaillibles.
Le principe même du transport en commun - avec sa “co-production du service”, sa promiscuité imposée et, disons-le clairement, son manque de fiabilité - est remis en cause.
Et pourtant
Et pourtant, le bus est une solution à la fois intelligente et efficace pour faire face aux grands problèmes que nous devons affronter.
Intelligente car il utilise les voiries existantes et devrait profiter de la baisse future de leur usage. Près de chez moi vient de s’ouvrir une voie d’autoroute désormais réservée aux autobus et autocars. C’est tout simplement génial, tellement évident, avec des vertus systémiques. Personne n’en a parlé.
Le bus est également très efficace puisqu’il optimise le rapport énergie/service rendu comme nous l’avons exposé en préliminaire. Et surtout, contrairement au train ou au tram, il va partout et coûte peu cher (précision : j’adore les trains, il en faudrait trois ou quatre fois plus, ceci n’exclut pas cela). Certains opérateurs louent même la journée leurs entrepôts vides à des entreprises de cyclo-logistique, montrant bien la plasticité et la modularité de ces systèmes.
Espérons que les acteurs de ce secteur orientent leurs efforts vers la reconquête des voyageurs et des chauffeurs. Claironner les bienfaits du service public ou du bilan carbone ne suffit plus, il est nécessaire de développer des innovations concrètes centrées sur le voyageur et les conditions de travail des personnels. C’est un chantier passionnant et je n’ai aucun doute sur l’envie des ingénieurs, des designers et des marketeurs de s’y atteler.
Le futur c’est le bus !
En mémoire de Laurent G. qui m’a fait conduire un autocar et découvrir le métier de transporteur.
🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec le sujet traité cette semaine.
Pourquoi le vélo ne peut être à lui seul la solution pour réduire l’impact des déplacements. “Si les distances parcourues à vélo étaient multipliées par dix, cela n’entraînerait qu’une baisse de 6 % des gaz à effet de serre dus à la mobilité”. « Il faudrait remplacer des trajets longs en voiture par des trajets courts à vélo »
Les origines de l’autobus - et plein de statistiques très riches sur l’usage, les émissions, l’accidentologie,… Wikipedia
Le site des passionnés de bus existe, nous l’avons trouvé - Transbus
Le blues du bus n’est pas une fatalité - Au Japon, les bus scolaires ressemblent à des personnages mignons. Il est courant d’ailleurs d’y voir de très jeunes enfants voyager seuls dans les transports publics - Japan’s independent kids - YouTube
BUS IS COOL ! La meilleure publicité pour le bus de tous les temps Midttrafik Commercial - "The Bus”
Quoi que, en matière de pub décalée pour les transports, le réseau BVG berlinois met la barre bien haut Culture Pub - BVG
Plus sérieusement, nous avons écrit un long article sur le modèle économique des transports publics - La gratuité peut-elle sauver le transport public ?
Ne cherchez pas de chiffres sur les transports dans les journaux qui font des micro-trottoirs : adressez-vous aux organisations sérieuses Mobilités du quotidien : Comprendre les années 2010 - 2020 pour mieux appréhender demain
Certaines apps fournissent également des données intéressantes - Données sur les transports en commun classés par pays et ville - Moovit
🤩 On a aimé
Nos trouvailles de la semaine, en vrac et dans le désordre
LinkedIn a 20 ans, et durant ces 20 ans ce “réseau social sérieux” est tranquillement devenu un media social qui a changé notre manière de considérer le travail. LinkedIn turns 20: An oral history of an unlikely champion
Les ventes de vinyles ont dépassé celles de CD pour la première fois depuis 1987 - Vinyl overtakes CD sales for the first time since 1987
Et le secteur de la librairie se porte bien : Nouvelle année record pour la librairie française : 142 créations de librairies en France en 2022
Livres encore : partons à la découverte du système de storytelling que J.K. Rolling a utilisé pour écrire les 4000 pages des Harry Potter Encre Canaille sur Twitter
Si comme moi vous êtes nul en recherche sur Google, ce professeur donne quelques trucs épatants - Techniques basiques mais ultra utiles pour trouver des choses en ligne - André Loez sur Twitter
Et enfin, vous avez été nombreux à me faire part de votre intérêt pour les digressions sur le temps de Tim Urban (la vie en semaines,…). Je vous partage avec plaisir cet autre article qui met le temps - d’une journée, d’une vie, des humains - en perspective Putting Time In Perspective
À lire en attendant le bus.
C’est terminé pour aujourd’hui !
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👩🏻🚀 Tous les jeudis, mon associée Noémie raconte les futurs possibles en fiction.
Pour ma part je vous dis à la semaine prochaine !
Stéphane
Je suis Stéphane Schultz, de 15marches. Le jour je suis consultant, je prends des trains à travers les plaines. La nuit je lis et j’écris cette lettre.
Excellent ! Dernière micro-innovation qui nous a valu une avalanche de commentaires positifs : afficher en grand directement sur la girouette le nombre de minutes restant avant le départ, au terminus. A Lausanne, la fréquentation bus actuelle est de 2 à 4% supérieure à celle de 2019 (métro : 6 à 10% supérieure)
il fallait lire "préfixe" et non "suffixe" bien entendu