Le futur des apps de mobilité est-il dans les "super-apps" ? L'exemple d'Uber
Longtemps concentrées sur une seule fonction, les apps mobiles évoluent pour devenir "super-apps" : des portails de services qui simplifient l'expérience utilisateur. Décryptage #150
Chaque semaine, le regard 15marches pour distinguer le signal du bruit et passer de l'idée à l'action.
👨🚀 Tous les mardis, Stéphane décrypte l’impact de la transformation numérique sur l'économie et la société. Vous y êtes, installez-vous confortablement. Abonnez-vous si vous souhaitez recevoir cette lettre chaque semaine dans votre boîte mail. Déjà 2920 abonnés.
👩🏻🚀 *Tous les jeudis, Noémie raconte *les futurs possibles* en fiction.
💌 Vous et moi
Après quelques jours loin de Zoom et de mon grenier, me voici de retour. Reprise officielle ce matin avec plusieurs ateliers pour nos clients TF1 et Gaïago. Des médias à l'agriculture les questions restent les mêmes : comment tirer parti du numérique pour améliorer l’expérience utilisateur et créer de la valeur ?
Mais revenons à la newsletter.
Cette semaine nous nous intéressons à l'évolution des applications mobiles qui passent d'un modèle vertical - "faire une seule chose très bien" - à un modèle horizontal "tous les services dans votre poche". Uber, qui a surmonté la crise grâce au succès de la livraison de repas, symbolise cette mutation. Présente dans des centaines de villes, l'application offrait la garantie de trouver un moyen d'"aller partout" en quelques minutes d'attente. Désormais, elle permet aussi d'obtenir "ce dont on a besoin", avec un panel de services de plus en plus large. Cette évolution n'est pas limitée à Uber. La plupart des apps qui ont survécu aux années 2010 s'engagent dans la même stratégie : à l'instar des "super-apps" chinoises comme WeChat ou Meituan, elles rêvent de devenir le guichet unique de votre vie quotidienne en proposant une expérience globale de services dont elles négocient l’accès pour vous.
🎯 Cette semaine
Qui mieux qu'Uber a représenté la révolution du mobile dans les années 2010 ? On ouvrait l'app et la carte affichait directement votre position avec - vous ne rêviez pas - des dizaines de petits véhicules noirs qui bougeaient autour de vous, n'attendant que la pression de votre pouce pour se précipiter à votre rencontre. On pouvait ensuite suivre l'arrivée du véhicule minute par minute en toute quiétude. Géolocalisation, temps réel, one-click,...le standard de l'expérience utilisateur mobile first (des solutions créées d’abord pour l’expérience en mobilité) était posé. La magie opérait pour des citadins fatigués de lever en vain le bras devant de rares taxis qui détournaient la tête sans s'arrêter. Après avoir passé la barre des 1 milliard de chiffre d'affaires en 2015, le service de VTC allait atteindre les 10 milliards de $ à peine 4 ans plus tard, écrasant tous ses concurrents, du moins dans les pays occidentaux. Alors qu’on le donnait pour mort en mars 2020, Uber voit son cours en bourse s’envoler depuis l’annonce des vaccins. Mais revenons sur l’évolution de l’app.
Bien adaptée aux Américains et Européens, cette expérience utilisateur allait devoir évoluer pour s'adapter aux contraintes des pays asiatiques et latino-américains. La moins bonne connectivité imposait de se passer de certaines fonctionnalités. Tout le monde n'a pas un iPhone et la 3G. L'application fut développée en version allégée (Uber Lite)... sans la carte. L’utilisateur devait saisir son adresse.
Avec le développement exponentiel de Eats, son service de livraison de repas, l'appli Uber se retrouva face à un autre dilemme : comment faire évoluer son interface pour mettre en avant la livraison sans pour autant compliquer la vie de ceux qui cherchent un transport ? Avec l'ambition de devenir "l'operating system de notre vie quotidienne", il fallait bien choisir. Adieu le one-click, bonjour les options de services. Adieu la carte aussi dans la version principale d'Uber et bonjour les deux choix principaux : se déplacer, trouver à manger. Premier pas vers un modèle de super-app où les fonctionnalités multiples sont mises en avant dès l'écran d'accueil (voir plus bas les références sur l’UX des apps chinoises).
“Faire un trajet” et “Commander un repas” - image : Uber
Libérée de ce carcan, l'application allait parallèlement s'enrichir de nouveaux services de mobilité avec les vélos JUMP, des services pour les professionnels ou encore l'accès aux transports publics dans certaines villes.
La dernière évolution a été annoncée très récemment par le boss d'Uber. L'application n'est plus une application de mobilité mais un portail de services. Elle joue à plein l'effet plateforme qui permet de mixer différents services offerts par différents prestataires dans une seule expérience unifiée et simplifiée :
réserver un voiture chez un loueur tiers qu'un autre prestataire tiers vous emmènera directement devant la porte de votre bureau
faire ses courses pendant que l'on se déplace (en Uber évidemment) et se faire livrer à son point d'arrivée
mélanger les plats de plusieurs restaurants et se les faire livrer dans un autre,...
emprunter différents modes de transport sans se préoccuper des horaires, tarifs, tickets,...
Cette évolution est un aperçu de l'expérience offerte par les super-apps asiatiques : VOUS êtes le centre du monde, et l'app s'occupe de vous fournir tout ce dont vous avez besoin sans que vous ayez à vous préoccuper de qui et de comment ce service vous sera offert. Le tout dans une simplicité extrême, puisque vous êtes à la fois identifiés, localisés et vos habitudes mémorisées.
Il n'est pas certain cependant qu'Uber réussisse là où tant d'applications occidentales ont échoué :
faire accepter aux utilisateurs habitués à jongler avec différentes apps de ne plus passer que par un seul portail
acquérir un levier de négociation suffisant vis-à-vis des entreprises tierces pour qu'elles acceptent de ne plus avoir de relation directe avec leurs utilisateurs
passer sous les fourches caudines des autorités de régulation locales, qui commencent à comprendre que, sous couvert d'expérience utilisateur simplifiée, les super-apps sont des machines à broyer la concurrence en imposant visibilité, prix et relation client.
À suivre...
🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec l’article principal.
Des chercheurs auraient démontré que la représentation des véhicules Uber en mouvement dans l’app est fausse Uber's real time car map is fake.
L’évolution des résultats d’Uber depuis 2011. Uber stats.
Le redesign de l’app Uber pour les secteurs sans GPS How Uber quietly redesigned its interface for the rest of the world
L’abandon de la carte en page d’accueil et la mise en avant du service de livraison Uber buries its ride map to put Uber Eats front and center.
Les différences entre le design et l’expérience utilisateur des apps occidentales et chinoises The UX Design Of Chinese And Western Apps: Why Are They So Different? et Characteristics of App UX in China
Toutes les évolutions de l’app Uber depuis 2011 dans cette timeline : UX Timeline
Le communiqué de presse annonçant les dernières fonctionnalités de l’app Go anything, get what you need.
Sur la puissance financière des GAFAs Market Power / Pricing Power
Sur les enjeux de régulation des appstores Resetting the App Store
🤩 On a aimé
Notre veille de la semaine, en vrac et commentée.
Après les scènes navrantes de montagnes de vélos en libre service abandonnés, le marché des micromobilités semble enfin se consolider en Chine. L'outsider HelloBike, qui a choisi de s'intéresser d'abord aux villes moyennes plutôt que d'affronter les géants Ofo et Mobike, va entrer en bourse au NASDAQ. L'occasion de connaître les vrais chiffres de fréquentation et de bilan économique. Et d'entrevoir l'avenir plutôt rose des startups qui ont survécu aux débuts chaotiques de la micromobilité : des revenus par voyage multipliés par trois, une fidélité accrue et des pertes ramenées à un niveau acceptable pour une entreprise en hypercroissance. Analyse du document S-1 de HelloBike
Avec la reprise progressive des activités aux USA, les géants du e-commerce rivalisent d'innovations pour conserver les parts de marché gagnées pendant la pandémie. Amazon étend son service "Key by Amazon" à 5 000 villes : les abonnés Prime pourront se faire livrer leurs courses directement dans leur garage, grâce à l'équipement de celui-ci avec une serrure connectée. Après les portes d'entrée (avec Ring) et les espaces intérieurs avec Alexa, Key affirme la stratégie d’Amazon de compléter tous les maillons de l'usine à votre placard. Amazon expands in-garage grocery delivery to more than 5,000 cities
Sans oublier la connectivité avec le projet Kuiper qui va envoyer 3500 satellites d’Amazon en orbite basse pour fournir un accès internet aux secteurs les moins bien couverts. Si Uber sera peut-être l'operating system de notre quotidien, Amazon en sera sûrement l'infrastructure.
Quand Mark Zuckerberg dévoile les nouveaux produits audio de Facebook dans une interview d'une heure, ce n'est pas en prime time dans un "grand media" mais sur le podcast d'un journaliste indépendant. C'est le signe que le pouvoir médiatique se déplace des médias traditionnels vers les journalistes qui utilisent désormais Substack, Discord ou ClubHouse pour diffuser leurs contenus et les monétiser. Substack (qui héberge aussi nos deux newsletters, NDLR) développe des initiatives agressives pour attirer des journalistes à succès, leur offrant de confortables rémunérations (cela n’a pas été le cas pour nos deux newsletters, NDLR). Que peuvent encore offrir les autres medias, qui voient d'un côté partir leurs meilleurs auteurs, et de l'autres leurs lecteurs les plus assidus, ceux qui sont prêts à payer ? What Substack Is Really Doing to the Media
C'est pas beau de se moquer des sujets de recherche en sociologie, mais ces fausses couvertures de thèses m'ont bien fait sourire. Types of Scientific Papers
Plus de 90 nouvelles compagnies aériennes se lancent pour l'après-COVID. Rebond. More Than 90 New Airlines Are Launching in 2021. They Say It’s the Perfect Time.
Vous le saviez certainement : les pistes d'aéroport sont orientées d'après les vents dominants. Cette très belle carte nous dévoile l'orientation des pistes des 3800 aéroports du monde entier. Jaunes pour les Est-Ouest, bleues pour les Nord-Sud. Sans surprise, Rennes et La Rochelle sont jaunes. Trailsofwind
💨✈️💨✈️💨✈️💨✈️💨✈️💨✈️
Je vous laisse avec des rêves de décollages face au vent.
À la semaine prochaine.
Si vous avez apprécié cette lettre, laissez nous un 💙