👨🏻🎤 Elon Musk peut racheter Twitter, mais il ne peut pas racheter cette newsletter
Comment rester indépendant quand tout le monde vit sur le dos des créatifs sans les payer ? #200
👨🚀 Tous les mardis, Stéphane décrypte l’impact de la transformation numérique sur l'économie et la société. En savoir plus sur cette lettre : À propos
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💌 Vous et moi
C’était la rentrée 2012.
Je venais de créer mon activité de conseil. J’étais enfin indépendant. Le monde s’ouvrait à moi, tout devenait possible. N’ayant ni bureau, ni réseau professionnel, Twitter était l’endroit où il fallait être. Je créais le compte @15marches et ce “lieu” allait devenir ma machine à café, ma médiathèque et la vitrine de mon activité.
Dix ans ont passé.
93% des Français ont accès à internet. Les réseaux sociaux ont changé la définition même de ce qu’étaient un média, un journaliste, une information.
Et pourtant, le feuilleton “Elon Musk va-t-il racheter Twitter ?” semble soulever moins de questions que l’empreinte carbone des box internet.
Parallèlement, la rentrée a vu deux de mes références en matière d’innovation, l’agence Fabernovel et le magazine Usbek & Rica, être rachetées respectivement par un géant du conseil et un géant des médias.
C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi voir ces entreprises “rentrer dans le rang” m’interroge sur le destin des créateurs et le prix de l’indépendance.
Plutôt que de “fêter (les 10 ans) avec un tweet”, j’ai préféré partager quelques réflexions que m’inspirent la conjonction de ces actualités.
Conseil : si ce sujet ne vous intéresse pas, passez à la dernière rubrique. De chouettes trouvailles d’automne vous attendent !
🎯 Cette semaine
Chaque semaine un nouveau sujet décrypté. Cette semaine, l’entreprise, la créativité et l’indépendance.
Notre monde repose sur les idées géniales de quelques fous, et personne ne s’en rend compte.
Un bien public
Traduction : “En principe, je ne crois pas que qui ce soit devrait posséder ou diriger Twitter. Ce devrait être un bien commun au même titre qu’un protocole, pas une entreprise. Le problème d’être ou ne pas être une entreprise mis à part, Elon est la solution singulière dans laquelle j’ai confiance. Je crois à sa mission d’étendre la lumière de la connaissance”.
Jack Dorsey est le co-fondateur de deux multinationales, Twitter et Square (un solution de paiement). Il a conçu Twitter avec cet objectif : permettre à chacun de s’exprimer en ligne, contre les États si nécessaire.
Aujourd’hui Jack n’est plus aux commandes, et Twitter est côté en bourse depuis près de 9 ans.
Rendez-vous avec X
Achètera, achètera pas ? Déjà premier actionnaire à hauteur de 10%, Elon Musk a annoncé la semaine dernière qu’il acceptait finalement d’acquérir la firme à l’oiseau bleu, après avoir retiré en juillet l’offre qu’il avait formulée en avril 😮
Concrètement Musk rachèterait 100% des actions de la société qui ne serait plus “publique”. Twitter serait intégré à X App, une “super app” sur le modèle des applis chinoises WeChat ou Meituan.
Les aficionados de l’homme le plus riche du monde ont sans doute reconnu son appétence pour la lettre X. En 2002, la fusion de sa banque en ligne X.com par Paypal puis son rachat par eBay lui avaient permis d’empocher 250 millions de dollars. De quoi financer ses aventures dans l’automobile avec Tesla (et son Model…X) et la conquête spatiale avec Space…X.
Qu’est-ce qu’Elon Musk va faire avec Twitter ? De nombreux salariés de la firme de San Francisco ont déjà exprimé tout le mal qu’ils pensaient de cette perspective. À part quelques nouvelles fonctionnalités comme le bouton “corriger” le magnat d’origine sud-africaine a surtout affirmé sa volonté de restaurer la liberté d’expression : comprenez “la possibilité pour tout le monde d’exprimer ses opinions sans être censuré ou banni par des modérateurs”.
Photo : John Cameron via Unsplash
Inutile de disserter sur l’absurdité de ce voeu pieu compte tenu des lois qui s’imposent au réseau social, dans son pays d’origine comme dans ceux où il est utilisé.
Ce que je retiens est surtout qu’Elon Musk, comme il l’a fait dans ses deux autres entreprises, règnera en maître sur la stratégie de Twitter. Notre liberté de nous informer et de partager des contenus dépendra d’une seule personne. En mission pour “étendre la lumière de la connaissance”, mais une personne quand même. Nous avons échoué à nous approprier ce bien commun. Y avons-nous seulement pensé ?
Le prix de l’indépendance
Twitter, c’est le réseau que j’ai découvert il y a 10 ans et qui a littéralement changé ma vie professionnelle. Dit autrement : comme beaucoup d’autres indépendants, je n’aurais jamais pu me lancer sans Twitter.
Ça se passait à peu près comme cela : je m’abonnais à des comptes - écrivains, influenceurs, entrepreneurs,… -, je suivais leurs échanges et découvrais ainsi de nombreux domaines jusqu’alors inconnus. Puis j’osais prendre part à la conversation, entrer en contact avec l’auteur, et plus tard le/la rencontrer voire même travailler avec elle ou lui. Ça m’est réellement arrivé, et beaucoup plus d’une fois. Tous nos échanges étaient publics, archivés et intangibles. On ne pouvait même pas supprimer un retweet 😱
À cette période faste a succédé une autre moins excitante, dans laquelle les réseaux sociaux sont devenus plus embouteillés et les algorithmes plus fourbes : distinguer le signal du bruit était devenu une gageure. Il était temps de bouger.
Comme les émojis ou les pokémons, l’avenir était dans le passé : la bonne vieille newsletter, dont nous avons - petite fierté - salué le retour en grâce dès…2016
À lire : Non la newsletter n’est pas morte - enquête de 15marches
Être à un e-mail de son audience, c’est ne plus dépendre d’algorithmes qui vous déclassent du jour au lendemain pour mieux vendre de la visibilité payante. C’est établir un lien plus direct avec ses abonnés. C’est sortir de l’infobésité : une lettre par semaine, même jour même heure.
Une newsletter est aussi autrement plus exigeante à créer qu’un post “inspirant” sur LinkedIn. On y passe 6 à 8 heures par semaine, en croisant les doigts pour ne pas être “spammé” par Gmail. La viralité est plus faible également : alors qu’un tweet partagé en quelques secondes peut être vu des dizaines de milliers de fois, une newsletter partagée par 10 lecteurs (merci à eux !) sera vue au mieux par quelques dizaines d’autres lecteurs. Autant vous dire que je salue avec gratitude chaque nouvel abonné même si c’est le 5100ème.
Enfin, cette lettre est gratuite et sans pub. Elle compte bien le rester, tant que l’on vivra de nos autres activités : le conseil et la formation. Le modèle est simple : un certain nombre de lectrices et lecteurs font appel à nos services et permettent le maintien de cet équilibre (merci à eux !). Cette newsletter est donc le symbole - fragile - de notre indépendance : une liberté de ton, un espace d’exploration et une relation sans intermédiaire.
C’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens
Je n’ai pas de légitimité particulière pour commenter l’actualité des secteurs du conseil et des médias. Mais, comme je l’écrivais en introduction, le changement de statut de deux de mes madeleines de Proust m’interpelle plus que je ne l’imaginais.
Les présentations de Fabernovel m’ont énormément appris sur l’économie numérique. Elles m’ont aussi convaincu qu’un cabinet de conseil devait produire un haut niveau de contenu et le rendre accessible au plus grand nombre. Quant à Usbek&Rica, leur ton, leur audace et leur créativité m’ont toujours séduit.
Le passage du premier chez un “Big Four” signifie-t-il la fin de la créativité de ses équipes ? L’absorption du second dans un groupe de presse appartenant à un milliardaire (encore un !) sonnera-t-elle la fin de l’audace ? Je n’ai aucune raison de le penser et encore moins envie de l’affirmer.
Une fois n’est pas coutume, c’est plutôt vous, acteurs de l’écosystème qui vous nourrissez de ces créations, que j’ai envie d’interpeller : qu’avez-vous fait pour que ces entreprises restent indépendantes ?
Bien sûr, c’est le dilemme faustien du numérique : pourquoi payer alors que tout est gratuit ? Usbek & Rica annonce 8 000 abonnés payants au magazine papier et 4 millions de pages vues. Ne parlons pas des cabinets de conseil qui sont régulièrement dénigrés comme inutiles, voire parasites, sans que cela n’émeuve personne. Ce qui n’empêche pas d’attendre d’eux qu’ils entretiennent de multiples compétences, savoir-faire et capacités de réinvention.
Vous connaissez l’adage au sujet de la formation de ses équipes :
“Si je les forme et qu’ils partent, qu’est-ce que je gagne ? Oui, mais si tu ne les formes pas et qu’ils restent ?”
Peut-être que notre époque actuelle peut parfaitement se passer de petits indépendants. Peut-être que les “grosses boîtes” sont capables de suffisamment d’audace et de créativité. Peut-être qu’on peut même compter sur des milliardaires philanthropes et des comités d’actionnaires de 49 personnes pour nous aider à imaginer le futur ? Le marché en tout cas pense que oui.
Mais au final, c’est à vous de choisir. À vous de décider qui vous informera et vous inspirera.
🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec le sujet traité cette semaine.
Sur le feuilleton du rachat de Twitter par Elon Musk. Musk Revives $44 Billion Twitter Bid, Aiming to Avoid Trial
L’annonce du rachat de Usbek & Rica par le groupe CMI, 2ème éditeur de presse magazine en France Jérome Ruskin sur LinkedIn
Le rachat de Fabernovel par Ernst&Young Conseil : avec Fabernovel, EY Consulting avance dans la transformation numérique
🤩 On a aimé
Nos trouvailles de la semaine, en vrac et sans détour
Si vous ne connaissiez pas l’adjectif sempervirents, c’est l’occasion de découvrir cette jolie carte de France des couleurs de l’automne : où admirer les arbres qui changent de couleurs ? Marti Blanchot sur Twitter
Article inspiré de ce magnifique travail du WaPo sur les feuilles d’automne : Fantastic fall foliage, and where to find it
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Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, les startups tuées par Google aussi. Stadia vient de rejoindre le Google Cemetery
Pas mieux chez Snap, qui va fermer la startup française Zenly. Zenly, l'application française rachetée par Snap, va fermer
Et dire qu’elles étaient indépendantes…
Guillaume Rozier - CovidTracker, ViteMaDose - vient de sortir TrackMyWatt pour suivre la consommation d’énergie en France.
Le cinéma - indépendant- est à l’honneur avec cet interview de Wes Anderson par le New Yorker. How Wes Anderson turned the New Yorker into the French Dispatch
La magie des sons à la radio, avec cette sélection d’archives sonores de la radio - Des Mots et des Sons, INA
Comment ne pas conclure en rendant hommage au sociologue, anthropologue et philosophe Bruno Latour, décédé ce week-end : Nous avons changé de monde - Bruno Latour : l'ultime entretien - ARTE vous présente une série inédite de 11 entretiens du sociologue et philosophe Bruno Latour menés par le journaliste du Monde Nicolas Truong.
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Et n’oubliez pas la seconde newsletter de 15marches, Futur(s) :
👩🏻🚀 Tous les jeudis, Noémie raconte les futurs possibles en fiction.
Pour ma part je vous dis à la semaine prochaine !
Stéphane
Je suis Stéphane Schultz, de 15marches. Le jour je suis consultant, je prends des trains à travers les plaines. La nuit je lis et j’écris cette lettre.
C'est le lot de tous les petits que de se faire manger par les gros non?
Et puis de nouveaux petits arrivent avec de nouvelles idées...
Et les gros pensent toujours que leur créativité augmentera avec l'absorption d'un petit alors que c'est généralement le contraire, l'ame des petits se perdant dans les process des gros...