💇🏻♂️ J'ai trouvé mon coiffeur sur Airbnb
Airbnb veut devenir la super-app de votre quotidien en étendant son inventaire bien au-delà des hébergements touristiques. What could go wrong ? #289
👨🚀 Certains mardis Stéphane Schultz décrypte l’impact des technologies sur l’économie et la société... En savoir plus sur cette lettre : À propos
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🧭 De quoi allons-nous parler
La semaine dernière nous évoquions (en musique) le mouvement de va-et-vient qui pousse les entreprises numériques à grouper et dégrouper des services, avec l’exemple de la restauration (lire : Appetite for Disruption). Les annonces récentes de Brian Chesky, co-fondateur d’Airbnb, sur la volonté de faire de sa plateforme une “super-app” sur le modèle du chinois WeChat nous donnent une nouvelle occasion d’étudier cette plasticité des modèles économiques du web. Après s’être développée verticalement en créant presque de toutes pièces le marché de l’hébergement “comme à la maison”, la start-up californienne veut maintenant étendre horizontalement son marché en proposant sur la même application de nouveaux services. Des services destinés aux voyageurs durant leur séjour comme cela existe déjà depuis 2016, mais également des services du quotidien qu’ils pourraient utiliser toute l’année dans leur ville.
Je comprends évidemment la volonté de monétiser l’attention et augmenter le panier moyen de ses 300 millions d’utilisateurs. Après tout la plupart des grandes applications de voyage - à qui l’on a rien demandé - essaient de nous refiler des locations, assurances, et autres cash-back chelous (coucou SNCF) en semant des nudges ici et là sur notre parcours utilisateur. Airbnb a certainement aussi la volonté de proposer à ses hébergeurs un revenu d’appoint tout au long de l’année. “J’ai une chambre à louer maintenant que les enfants sont partis, mais je suis aussi prof de piano / de yoga / guide touristique / reine du ramen à mes heures perdues”.
Tout cela semble assez opportun, en tout cas sur sur le papier et du point de vue d’une entreprise en recherche permanente de nouvelle croissance. Concurrencer leboncoin et Google Adresses est une autre affaire. L’occasion de réétudier ce qui, depuis près de 15 ans, empêche les géants du web occidentaux de devenir “super-app”.
Airbnb va-t-il “craquer le modèle” cette fois-ci ? C’est le sujet de la semaine.
Image générée par une IA. Jeu de mot généré par un humain 🙋🏻♂️.
🎯 Cette semaine
À chaque lettre un nouveau sujet décrypté : Airbnb veut devenir la super-app du quotidien
Il veut être “nouveau”. Il veut être “frais”. Il veut être “jeune”. Le co-fondateur d’Airbnb considère que trouver sa maison de vacances ou son appartement dans le centre de Porto n’a plus “rien de nouveau”. Brian Chesky veut dorénavant que la nouvelle version de son application permette de réserver un traiteur, un cours à domicile, un chef ou un coiffeur, même en dehors de votre voyage et même si ces services ne sont pas offerts par des hébergeurs. Sans nier la capacité exceptionnelle des trois fondateurs d’Airbnb à créer des marchés à partir de quelques signaux faibles (couchsurfing, échange de maison), ce projet pose certaines questions préalables.
Les événements normaux n’ont rien d’exceptionnels
Pour un particulier, l’exigence de réussite d’un évènement est logiquement corrélée à à sa fréquence et à son importance perçue. Au risque de plagier Laurence Ferreira Barbosa, “les évènements normaux n’ont rien d’exceptionnels”. Sauf… exception votre vie quotidienne consiste à enfiler une litanie de micro-tâches aussi fréquentes que banales, ponctuées quelques fois dans votre existence de moments aussi intenses que rares.
J’ai fait ce schéma en dix minutes avant de monter dans le train (oui j’ai mis le décès dedans).
Première conséquence : vous n’êtes sans doute pas aussi pointilleux·se sur l’origine de votre repas à la cafèt le midi que pour celui prévu des 40 ans de votre chéri(e). Idem si l’on compare, au hasard, la réservation à 23:52 d’une séance chez le coiffeur après un dernier regard dépité dans le miroir avec la préparation des vacances d’été avec vos 2 ados (qui passent leur temps chez le coiffeur mais c’est un autre sujet).
Le commerce des promesses
Or c’est justement sur la promesse de résoudre la seconde exigence - des vacances originales et authentiques - qu’Airbnb a construit un succès dont la valeur s’élevait à 78 milliards de dollars ce matin. Promesse résolue en vous proposant, outre un choix extensif d’hébergements, une collection de fonctionnalités destinées à rassurer les plus paranoïaques d’entre vous. Avis d’utilisateurs validés, expérience en ligne impeccable, détails sur le logement et ses alentours, échanges avec les propriétaires, questions fréquentes,…Cette attention aux détails illustre s’il le fallait l’importance perçue pour le voyageur de cette location. De l’autre côté de sa plateforme Airbnb apporte à l’hébergeur la promesse de rentabiliser le capital investi en lui donnant accès à un marché abondant de voyageurs “qualifiés”, des conseils et autres services (conciergerie, ménage, blanchisserie) destinés à garantir un certain volume de location chaque année.
Cette capacité à “matcher” des demandes en apparence opposées - une expérience rare et “personnalisée” pour le voyageur et une capacité à passer à l’échelle pour les hébergeurs - est au coeur de la réussite du modèle Airbnb1.
Mais revenons sur ce projet de super-app. Pourquoi diable devrais-je utiliser l’appli Airbnb pour trouver un rendez-vous chez le coiffeur ? Si l’on se réfère au schéma ci-dessus, j’ai classé le coiffeur dans le quadrant “fréquent x pas important”. Pire, non seulement je ne vais pas passer deux heures à choisir un nouveau coiffeur chaque mois, mais j’aurais plutôt tendance à garder jalousement celui qui me plaît. En termes de parcours client, le recours à l’app me servirait au mieux à remplacer celle que j’utilise déjà pour réserver à 23:52 ma séance de vendredi. Ok.
Le syndrome Blablacar
Utiliser une “super-app” en lieu et place des multitudes d’apps déjà sur notre téléphone est un premier défi. Le suivant est de nous faire payer pour cela. Airbnb se retrouvera sans doute bloqué par le “mur de l’habitude” ou “syndrome Blablacar ”. Si vous covoiturez tous les dimanches avec les mêmes personnes pour aller au sport,
1) plus besoin d’appli pour en trouver d’autres 2) vous faire payer à chaque “transaction” est illusoire 3) il n’y a le plus souvent pas de transaction mais recherche de réciprocité 4) un groupe WhatsApp fait très bien le job pour les aspects pratiques.
Pas sûr non plus que l’on souhaite fournir à une app grand public des données à livre ouvert sur notre vie quotidienne. Enfin, si l’on reprend l’exemple des apps de livraison de repas analysé la semaine dernière, on imagine mal recevoir quotidiennement d’Airbnb des flots de “rappels” et autres “promos” pour une séance de massage ou d’épilation, des brochettes chez le boucher ou des fleurs à la St-Valentin. Or c’est bien comme cela que fonctionnent les apps du quotidien : elles passent leur temps à vous donner des petits coups d’épaule pour regarder ici ou là.
On veut de l’amour
Last but not least, Airbnb ne risque-t-il pas de tuer le peu d’authenticité qu’il reste dans le concept qu’elle a elle-même contribué à développer ? Le belong anywhere, que l’on pourrait traduire par “se sentir chez soi partout” dans le monde : ce chantre de la mondialisation heureuse, qui vous permet de vous sentir accueilli, connecté à la culture locale, en “habitant chez l’habitant” et en partageant une partie de sa vie. Autant l’extension des services proposés aux Experiences, par exemple des cours de cuisine locale ou la visite d’un monument guidée par un voisin, contribue au mantra de la startup. Autant la réservation d’un coiffeur à 23:52 ne le fait pas du tout. Pire, celles et ceux qui ont déjà voyagé dans certains pays connaissent cette sensation d’être un porte-monnaie sur pattes à qui tout le monde, sans exception, essaie de retirer une pièce ou un billet. “Entrez dans ce magasin”, “venez prendre un thé”, “essayez cette attraction”, “allez-y de ma part”…La monétisation directe ou indirecte de chaque conseil, chaque service rendu, bref…de l’hospitalité, risque de tuer le concept même d’hospitalité.
Je ne sais pas vous, mais pour ma part je suis plutôt à la recherche de vraies rencontres et tente tant bien que mal de mon côté d’aider les gens que j’accueille ou simplement que j’oriente sans arrières-pensées mercantiles. Brian, si tu m’écoutes, retourne dormir chez l’habitant comme tu le fais régulièrement, reconnecte-toi avec les aspirations profondes des voyageurs et des hébergeurs. Continue à nous proposer de vraies pépites, pas des créneaux shamp+coiff hommes adultes à 15:45. Merci et bel été !
🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec le sujet traité cette semaine.
Comment Airbnb veut devenir une “super app” de la vie quotidienne - Cafetech
Le patron d'Airbnb en quête de "nouveauté" et de "fraîcheur" - France24
Et pendant ce temps, Blablacar veut devenir la super-app de la mobilité - Après le covoiturage et les autocars, BlaBlaCar s'attaque à la vente de billets de train
On vous dit tout sur la méthode de créativité qu’utilisent les équipes d’Airbnb Comment créer une expérience inoubliable - 15marches
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C’est terminé pour aujourd’hui !
À la semaine prochaine, n’hésitez pas à réagir.
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Stéphane
Je suis Stéphane Schultz, de 15marches. Le jour je suis consultant, je prends des trains à travers les plaines. La nuit je lis et j’écris cette lettre.
Je suis conscient que, trop souvent, cette promesse débouche sur des appartements meublés comme un Formule 1, une boîte à clés en guise d’accueil et des messages pseudo-robotisés qui visent avant tout à ne pas recevoir une mauvaise appréciation.