Il était une fois la France d'après
Du Houellebecquistan au Casselyverse, voyage dans la France sous nos yeux, le livre qui ouvrira les vôtres
👨🚀 Tous les mardis, Stéphane décrypte l’impact de la transformation numérique sur l'économie et la société.
Bienvenue aux 82 nouveaux abonnés depuis la dernière édition et merci aux autres pour leur patience : les vacances nous ont fait du bien !
Pas encore abonné•e ? Inscrivez-vous pour recevoir chaque semaine une nouvelle édition dans votre boîte mail.
💌 Vous et moi
Durant ces vacances j’ai terminé “la France sous nos yeux” de Jérome Fourquet (IFOP) et Jean-Laurent Cassely (journaliste).
Pour un consultant comme moi qui tente maladroitement de relier urbanisme, économie et modes de vie, cet ouvrage est une source inépuisable de réflexions et d’inspirations. Étant né 10 jours avant Stéphane Plaza, je ne peux que constater à quel point mon pays a changé sans que j’ai toujours eu le loisir - ou la volonté - de bien le comprendre.
Car la France “sous nos yeux” est en réalité souvent la France “vue à la télé” ou “croisée en bas de l’immeuble”. Une France d’invisibles auxquels on ne s’intéresse que quand ils bloquent des ronds-points ou sont appelés aux urnes. Nos compatriotes forment désormais un tableau complexe et composite que le livre réussit brillamment à brosser.
J’espère vous donner envie de le dévorer vous aussi et si, vous l’avez déjà fait, de partager vos impressions en commentaire.
Vous trouverez comme d’habitude des liens utiles pour aller plus loin dans la rubrique “Et aussi” et le produit de notre veille sur les internets dans la dernière rubrique “On a aimé”.
🎯 Cette semaine
Un sujet qui nous a marqué
Les habitués de cette lettre le savent, je suis un grand fan des productions de Jean-Laurent Cassely. Échangeant souvent avec lui, j’ai pu constater un mouvement centrifuge l’éloignant progressivement des centres urbains et leur population de bac+5 hipstérisés. Depuis quelques semestres, le journaliste explore les suburbs pavillonnaires peuplés de magasins franchisés et de gilets jaunes. Ce passage du Guide du Fooding à La Pataterie n’enlève rien à l’intérêt de ses analyses. On y retrouve cette capacité singulière à relier des domaines aussi éloignés que l’architecture, la gastronomie, les styles musicaux ou la religion.
Comme le best seller Freakonomics, ses ouvrages mêlent des analyses économiques et sociales rigoureuses avec des études de “pop culture” beaucoup plus ésotériques. Ses sources vont des stats de l’INSEE au visionnage des émissions de M6 en passant par les romans de Nicolas Mathieu et la presse régionale. Le style est aussi très agréable, et ce dernier livre se lit comme un récit d’explorateur.
Les lecteurs sont invités à découvrir le Casselyverse, ce monde pas-si-virtuel composé de restaurants franchisés, de pop urbaine et de soirées-barbecue. Jérome Fourquet fait lui-même référence au Houellebecquistan, autre néologisme urbano-littéraire, qui montre bien l’influence qu’a eu l’auteur de la Carte et le Territoire sur une génération de passionnés.
Photo par votre serviteur.
Le livre décrit donc la France d’après. Mais “d’après” quoi au juste ?
La France d’après la désindustrialisation
Les catégories statistiques ont bien du mal à rendre compte de la “Grande Métamorphose” qui a suivi la désindustrialisation et la fin des activités primaires d’extraction. Les auteurs rappellent aussi que près de 800 000 agriculteurs ont quitté le secteur depuis 50 ans, le “plus grand plan social” de notre pays.
Que reste-t-il quand il n’y a plus ni usine, ni puit, ni champ ? Nos deux auteurs se transforment en géologues pour analyser les “strates” successives qui ont recouvert ce territoire jadis agricole et industriel.
La France est silencieusement devenue un pays de consommation et de redistribution, dans lequel les métiers dominants sont ceux du commerce, de la logistique et du service (à la personne). “Caristes de tous pays, unissez-vous” aurait pu être le slogan de l’épisode des Gilets Jaunes, analysé par les auteurs. Les “premiers de corvée” bien identifiés durant la crise sanitaire sont aussi les délégataires du contact avec soit la marchandise, soit les clients.
L’ouvrier de 2020 travaille dans la logistique ou la sécurité, et sa femme dans un hôpital, un centre commercial ou un parc d’attraction.
La France d’après la périurbanisation
Jean-Laurent Cassely a apparemment regardé l’intégralité des émissions de Stéphane Plaza en feuilletant Franchise Magazine. Il décrit avec gourmandise la géographie des piscines, des McDo et des boulangeries de rond-points.
La hausse formidable du coût de l’immobilier a fait fuir les urbains hors de la ville, creusant un fossé entre les “héritiers” et les autres. La quête du soleil, pour le travail et la retraite, a fait le reste. On ne vit plus et on ne meurt plus près de là où on est né.
Ne nous y trompons pas, les modes de vie s’urbanisent mais pas le territoire. Mélange des genres mais pas mélange des gens : l’immobilier, le “où j’habite” reste un marqueur extrêmement puissant. Certes, le code postal n’est plus un déterminant des comportements et les modes de consommation se démocratisent. La végétation se banalise, les accents se perdent, les traditions architecturales et gastronomiques aussi.
Mais la France d’après est bien loin de la Ville du Quart d’Heure et du village de Pagnol. Les lieux traditionnels de sociabilité cèdent la place à la “vie en banlieue pavillonnaire” avec ses voitures, barbecues et sorties au restaurant franchisé. On choisit désormais avec qui on veut “faire société”.
Le décalage entre ce que nous apprend ce livre et les concepts développés par certains urbanistes est criant. Ça va bien finir par se voir…
La France d’après le Français moyen et la Ménagère de moins de 50 ans
Les auteurs décrivent en détail le processus de “démoyennisation” de la population :
· par le haut, avec l’attrait des offres premium, notamment pour le tourisme. Les Bronzés de 2020 ne pourraient même plus se payer une journée de Club Med. Les villages “Triple A'“ (comme l’andouillette) deviennent inabordables. On pourrait citer aussi les voitures neuves et la déco/jardin qui montent en gamme.
· par le bas, avec l’explosion des offres low cost et autres hard discount, qui essaiment le territoire. Sans compter le “marché du gris”, qui va du Bon Coin au travail au noir en passant par la Française des Jeux.
· par le côté enfin, quand une catégorie de la population ne se reconnaît plus dans la consommation traditionnelle et privilégie les produits éthiques, bio et locaux.
Le livre décrit aussi la quête de spiritualité et de bien-être qui recouvre plus ou moins la “strate” du catholicisme. La religion dominante (pensez au nom des villages) a laissé place à un ésotérisme teinté d’américano-orientalisme : religion baptiste, yoga, culte du développement personnel et de l’individualisme. L’exemple américain, qui a tellement structuré notre pays dans les années 80, semble cependant céder la place à un “Best Of” de tendances japonaises, coréennes, maghrébines, turques, africaines…
La France “Stephane Plaza majoritaire” écoute Aya Nakamura en mangeant des tacos et rêve de trips à Vegas. Mais elle va à Disneyland Paris et Center Parcs. Dans cette France kaleïdoscope, « les modes de vie deviennent progressivement le théâtre d’une bataille culturelle et idéologique tandis que le rapport à la consommation se connote politiquement ». Le Français moyen devient comme les vieux rockers : un marché de niche.
Le décalage avec les discours politiques diffusés en boucle par les médias traditionnels est là aussi frappant.
On ressent clairement à la lecture de l’ouvrage les clivages et conflits en gestation, et c’est tout à l’honneur des auteurs d’avoir réussi à les exposer sans tomber dans des biais d’opinion ou de parisianisme.
Pour ma part, j’en retire un besoin de repenser ma propre activité de consultant, pour mieux coller à la réalité du terrain et sortir d’un tropisme “vu sur internet ” parfois trop facile. Mais je prends toujours autant de plaisir à tenter de comprendre comment vivent mes contemporains et change notre territoire.
Merci encore aux auteurs de me l’avoir rappelé !
🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec le sujet traité cette semaine.
La présentation du livre par son éditeur. La France sous nos yeux, Seuil.
L’interview de Jean-Laurent Cassely au sujet du livre dans l’ADN Piscine à débordement, chamanisme et flat white… À quoi rêvent les classes moyennes en France ?
Le plan media continue avec son interview dans Usbek & Rica La piscine, prolongement de l’idéal majoritaire français de la maison avec jardin
Le podcast Poire et Cahuètes de Jean-Laurent Cassely et Hélène Decommer. Poire et Cahuètes (pour les plus jeunes, voici la source d’inspiration de ce nom bizarre : Poires et Caouètes les Guignols de l’Info)
Toutes nos publications sur les livres de Jean-Laurent Cassely. Newsletters de 15marches : Cassely
Quelques ouvrages cités :
Le livre Freakonomics de l’économiste Steven Levitt et du journaliste Stephen Dubner : A Rogue Economist Explores the Hidden Side of Everything
Le livre Leurs Enfants après Eux de Nicolas Mathieu cité par l’auteur (que je recommande 💯)
L’article de Télérama qui a popularisé l’expression “France moche”. Comment la France est devenu moche (2010).
Faut-il encore présenter Michel Houellebecq ? La Carte et le Territoire.
🤩 On a aimé
Nos trouvailles de la semaine, en vrac
La COP26, c’est l’actualité. Mais le climat, c’est une (très) longue histoire. Ce site propose des cartographies dynamiques sur l’évolution du climat durant les 540 derniers millions d’années. Climate Archive
39% des personnes qui se déclarent prêtes à “passer au vélo” le feraient pour éviter les transports publics. La crise du COVID a rebattu les cartes. Données issues d’une enquête réalisée par le géant mondial des accessoires de vélo Shimano auprès de 14 000 personnes dans 12 pays européens. State of the Nation report, the changing attitudes to e-bike use | Shimano
Le métro a pourtant des arguments. Quand il troque son environnement purement technique pour devenir un vrai morceau de ville. La grandeur des stations de métro moscovites. The Stunning Grandeur of Soviet-Era Metros
Le train aussi. Je ne relaie jamais la com’ SNCF (leur auto-promo permanente sur les réseaux me fatigue), mais ce guide Michelin x TER “vacances en train” est une très belle idée Vacances en Train 40 voyages sans voiture pour parcourir la France de gare en gare
Si vous préférez rester chez vous, testez cette nouvelle tendance : les jeux vidéos qui reproduisent la vie quotidienne : tondre sa pelouse, nettoyer sa terrasse,…Le Casselyverse à portée de clic. Le succès improbable des jeux vidéos sur la banalité du quotidien
Vous pouvez aider Mozilla à créer un service de reconnaissance vocale ouvert. En leur prêtant votre voix. Common Voice
Et pour finir, cédons nous aussi à l’américanisation des moeurs en vous partageant ce génial site de la NASA qui profite d’Halloween pour éditer une série de posters rappelant que l’espace a longtemps terrifié avant de fasciner. A galaxy of horrors
✋ Avant de partir
Puisque vous êtes arrivé·e jusqu’ici
Nous avons travaillé dur pour refaire le site web de l’agence. Il ne nous manque plus que quelques volontaires pour nous aider à trouver les derniers bugs avant de le mettre en ligne. Si vous avez envie de nous aider et découvrir notre site en avant-première, inscrivez-vous ici : Je suis ok pour tester le nouveau site web de 15marches et donner mes retours. Merci d’avance !
C’est tout pour aujourd’hui…
Si vous avez appréciez cette lettre, mettez un 💙 pour nous encourager. Merci !
Et n’oubliez pas la seconde newsletter de 15marches :
👩🏻🚀 Tous les jeudis, Noémie raconte *les futurs possibles* en fiction.
Pour ma part je vous dis : à mardi prochain !
Stéphane