Le bon moment
Comment anticiper le moment idéal pour lancer un produit, une tendance ou un mouvement populaire ? Prenons un moment pour trouver le bon moment #238
👨🚀 Tous les mardis, Stéphane décrypte l’impact des technologies sur l’économie et la société... En savoir plus sur cette lettre : À propos
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🧭 De quoi allons-nous parler
Vous avez sans doute déjà entendu parler de ces moments « mythiques » dont les journalistes raffolent. Ceux que l’Histoire retient comme déclencheurs, points de bascule ou simplement symboles des temps qui changent. La date d’un événement, d’une catastrophe, d’un vote, d’une découverte,…
Mais nous savons bien que l’histoire est écrite par les vainqueurs. Elle ne retient pas toutes ces rencontres ratées, ces produits, idées ou oeuvres qui sont arrivées trop tôt ou trop tard, et n’ont jamais connu leur moment.
Alors, comment faire pour trouver le bon moment ?
Nous vous proposons cette semaine un court essai sur l’art de capter l’air du temps.
🎯 Cette semaine
À chaque lettre un nouveau sujet décrypté : Comment trouver le bon moment pour lancer un produit ou une oeuvre ?
Aha
En matière de découverte scientifique, les anglo-saxons parlent de aha moment, ce moment où l’inventeur constate la nouvelle évidence qui lui fait face et en déduit le sens théorique. Archimède se serait exclamé « Eureka ! », ce qui signifie en grec « j’ai trouvé !» lorsqu’il découvrit la poussée qui prit son nom. Étudiant à l’université de Cambridge, le jeune Isaac Newton fut obligé de regagner sa campagne du Lincolnshire en 1665 en raison d’une épidémie de peste bubonique. Bien lui en prit, puisque c’est sous un arbre qu’il eut droit à son aha (ou Eureka !) moment lorsqu’il observa la chute d’une pomme et en déduisit la loi relative de la gravitation universelle.
Storytelling
Notre 21ème siècle adore comparer les néo-entrepreneurs à ces inventeurs, faisant passer de simples observations comportementales ou intuitions pertinentes pour des découvertes scientifiques. Les fondateurs d’Airbnb auraient découvert l’intérêt des congressistes pour le logement chez l’habitant en louant des matelas gonflables (d’où le premier nom de la startup, AirBedAndBreakfast) dans leur appartement de San Francisco. Les fondateurs d’IKEA auraient eu une révélation en observant les clients d’un magasin de meubles galérer pour charger leur voiture. Plus récemment, Jan Koun le co-fondateur de WhatsApp aurait été motivé par le prix exorbitant des SMS vers son pays natal, l’Ukraine, pour coder une app de conversation qui fonctionne sur tous les smartphones.
Ces aha moments n’en sont pas : ce sont des moments où le créateur réalise qu’il a trouvé une solution efficace à un problème bien identifié. Mais ce raccourci néglige un paramètre essentiel : le bon timing.
Alignement de planètes
Malcolm Gladwell dans son best seller Outliers a recherché parmi des exemples d’entrepreneurs, de sportifs et de musiciens quels étaient les facteurs de leur succès. Selon lui, le succès n’est pas dû au seul talent mais à un rare alignement de planètes entre :
Une quantité de travail pré-existante : les Beatles, Bill Gates ou l’équipe nationale de hockey du Canada ont tous effectué plusieurs milliers d’heures de pratique avant de rencontrer l’élément déclencheur.
Une rencontre : l’auteur décrit une soirée de mars 1975 durant laquelle Bill Gates, Steve Jobs et Steve Wozniak découvrirent l’Altaïr 8800, le premier ordinateur personnel. À la différence de beaucoup d’autres participants à cette soirée, eux avaient déjà passé des milliers d’heures à programmer dans leur jeunesse. Ils sauront précisément quoi faire avec cette invention. On connaît la suite. Lorsque les Beatles rencontrent leur premier succès avec Love Me Do en 1962, ils ont déjà plusieurs centaines de représentations dans les doigts et sonnent comme personne.
Au bon moment : dernier facteur et non des moindres, cette rencontre a lieu au bon moment dans la vie de nos héros ; Gladwell souligne avec pertinence la proximité d’âge entre les fondateurs de Microsoft, Sun, Oracle, Apple ou encore Éric Schmidt qui dirigera Google. Ils sont nés quasiment dans le même semestre, comme d’ailleurs les membres de l’équipe nationale du Canada. La raison est simple : quand ils rencontrent l’élément déclencheur (l’ordinateur personnel ou la sélection de hockey), ils ont pile poil le bon âge. D’autres passionnés étaient également présents le soir de la présentation de l’Altaïr 8800. Mais ils étaient soit trop jeunes (ils n’avaient pas fait leurs 10 000 heures et ne savaient pas quoi faire de cet ordinateur), soit trop vieux (ils bossaient déjà chez IBM et devaient rembourser le crédit de leur maison). Les jeunes hockeyeurs sont eux sélectionnés autour de 10 ans, ce qui favorise très sensiblement les gamins nés en début d’année (ce biais existe toujours pour les équipes de foot : vous pouvez vérifier).
La recette du succès ressemblerait à une conjonction heureuse entre des facteurs personnels – travail, âge – et externes – une invention, un événement. Il y a donc une forte dimension de hasard, de risque dans ce type de succès. La quantité de travail est fournie avant cette rencontre, avant même de savoir que cette rencontre arrivera. Et encore faut-il qu’elle arrive au bon moment, ni trop tôt ni trop tard.
Le Zeitgeist ou l’air du temps
Au-delà des aventures individuelles, peut-on prédire le bon moment pour des changements qui touchent une population, une génération ou une nation entière ?
Dans le Ministère du Futur, Kim Stanley Robinson parle de Zeitgeist, l’air du temps en allemand :
« Tous ces évènements, et d’autres encore, se dérouleraient concurremment. Tant de révoltes éclataient de manière spontanée – a priori spontanée – que certains historiens parlèrent d’un nouveau 1848, du retour à l’esprit de 1848 à l’approche du bicentenaire de cette date. Car, comme à cette époque de grande agitation révolutionnaire, personne ne parvenait à expliquer pourquoi ces faits survenaient tous au même moment dans de si nombreux endroits. Coïncidence ? Conspiration ? L’esprit du monde, le Zeitgeist en action ? Comment savoir ? Par contre, tout le monde savait que l’effondrement était proche ».
J’aime beaucoup cette notion de « conspiration » que j’utilise quand je travaille avec des startups. Je les invite à chercher dans l’air du temps non pas ce qui se dit, mais ce qui ne peut pas se dire : les forces cachées à l’œuvre chez un utilisateur ou dans une organisation. Ces forces qui motiveront l’adhésion au changement que l’on souhaite provoquer.
La difficulté est que, comme l’explique Gladwell, rencontrer ces forces suppose d’anticiper leur venue sans pour autant savoir si elles adviendront. Être (archi)prêt·e « au cas où ». Une dimension du risque souvent oubliée.
Dans le cœur de tout le monde
Mais revenons à notre « esprit du monde ». Qui mieux qu’un artiste peut saisir ce Zeitgeist en action ? Écoutons cette conversation entre Wim Wenders et la journaliste Géraldine Mosna-Savoye. Le réalisateur de 78 ans y raconte dans un français impeccable pourquoi certains de ses films ont marché et d’autres pas du tout, indépendamment de leurs qualités intrinsèques (Wim Wenders, le bonheur est dans la routine, Les Midis de France Culture).
GMS : « Alice dans les Villes, Buena Vista Social Club, Paris Texas, Les Ailes du Désir…au-delà de ces succès, est-ce qu’il y a des réceptions, des manières de voir vos films qui vous ont déçu ? Vous vous êtes senti incompris ? »
WW : « Oui, ça arrive toujours. Il y a pas mal de films qui arrivent au mauvais moment. Qui arrivent trop tard ou trop tôt. C’est rare qu’un film sorte au bon moment ».
GMS : « Ça vous est quand même arrivé pas mal de fois ? »
WW : « Pas mal de fois c’est pas vrai. Ça m’est arrivé quelques fois. Buena Vista c’est arrivé au bon moment ça il faut le dire. Et peut-être aussi les Ailes du Désir (…) Mais il y a d’autres films qui sont vraiment clairement sortis au mauvais moment et qui ont disparu. Ils auraient mérités d’être vus différemment (…) ».
GMS : « Le bon moment, c’est quoi ? C’est quand il trouve son public ? Quand il y a un succès ? C’est ça le bon moment ? »
WW : « Non, le bon moment c’est pas le succès. Le bon moment c’est quand un film touche quelque chose qui en ce moment est dans le cœur de tout le monde ».
Toucher ce qui est en ce moment dans le coeur de tout le monde : une invitation à écouter, observer et entrer en empathie avec cet air du temps. Bel objectif.
Et vous, comment faites-vous pour trouver le bon moment ?
C’est terminé pour aujourd’hui ! Version allégée due à un gros programme de travail.
À la semaine prochaine, n’hésitez pas à réagir.
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Stéphane
Je suis Stéphane Schultz, de 15marches. Le jour je suis consultant, je prends des trains à travers les plaines. La nuit je lis et j’écris cette lettre.
question que se pose mon esprit en finissant la lecture (top edition par ailleurs, bravo!): pourrait-on applique ce framework/ ces regles/ etapes a la 'decouverte'/ rencontre de l'amour ou mieux encore, l'ame soeur 🤔