🎨 Un monde sans couleur
Usage des couleurs et dépendance au pétrole sont intimement liés. Quelles sont les couleurs qui survivront à la sobriété énergétique ? #208
👨🚀 Tous les mardis, Stéphane décrypte la transformation numérique de l'économie et la société. En savoir plus sur cette lettre : À propos
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💌 Vous et moi
Cette semaine je m’essaie à « la fin de… » : que se passerait-il si tel ou tel élément de notre quotidien disparaissait ou était modifié de manière tellement profonde que notre rapport avec lui était définitivement bouleversé ?
La lecture d’un article sur l’histoire des couleurs m’a fait réaliser une chose dont je n’avais pas conscience lorsque j’imaginais un futur plus sobre : sortir du pétrole c’est également changer notre rapport aux couleurs. Celles qui nous habillent, rendent nos villes, nos objets et nos intérieurs singuliers. Et en voyant apparaître des sites web “éco-conçus” en noir et blanc, je me suis demandé si les couleurs de notre quotidien n’allaient pas subir le même sort. Bien sûr cela n’arrivera pas de manière aussi brutale : il y aura des résistances, des détournements, des solutions seront inventées. Mais la manière dont nous jouons des couleurs évoluera à coup sûr et ce n’est pas le moindre changement que j’imaginais.
Allons-y.
🎯 Cette semaine
Chaque semaine un nouveau sujet décrypté. Cette semaine nous avons étudié l’impact de la mode et de la couleur.
Les Français ont eu peur d’avoir froid. Alors ils se sont précipités pour acheter polaires, pulls et sous-pulls, dont les ventes battent des records. Style grenoblois contre look 80’s.
Chacun pensait bien faire en essayant de compenser une baisse - la consommation d’énergie - par une hausse - du nombre de couches d’habits. Et pourtant, s’ils avaient su…
Trop de fringues
Le secteur de la mode a un modèle environnemental ahurissant : toujours plus de collections, de choix, de couleurs, de modèles, portés par des budgets publicitaires omniprésents et des coûts très bas. La mode représente déjà 10% des émissions de CO2 mondiales, mais elle impacte aussi la consommation d’eau et sa pollution par des plastiques et produits chimiques. Ça fait tâche (ok je vais aller doucement sur les jeux de mots le sujet est grave).
Aujourd’hui 1/5 du plastique fabriqué l’est pour la mode : le polyester, nylon et autres tissus synthétiques accompagnent la fast fashions. 95% des modèles vendus par Shein contiennent au moins un de ces matériaux.
À tel point que l’industrie pétrolière y voit déjà son avenir : alors qu’elle prédit que dans les pays émergents la demande liée au transport va baisser, celle liée à l’habillement va compenser cette baisse. Les pompes vont remplacer les pompes (décidément…).
Les volumes sont avant tout en cause.
Retenez qu’en 20 ans le nombre d’habits vendus a doublé. Aux USA un pantalon est porté en moyenne… 10 fois avant d’être jeté. Ce qui est une mauvaise idée vu que 87% des vêtements jetés finissent en décharge ou sont brûlés.
La prise de conscience récente qui conduit beaucoup d’acheteurs occidentaux à privilégier des vêtements plus “écolos” ressemble à celle des conducteurs d’automobiles avec la voiture électrique. Acheter des habits durables, c’est toujours consommer plus d’habits. Acheter des vêtements d’occasion sans diminuer son nombre total d’habits, c’est entretenir la roue infernale du système.
Cerise sur le gâteau : à peine 1% des habits collectés pour être recyclés servent à fabriquer d’autres habits. Et un vêtement fabriqué à base de matériaux recyclés ne peut être lui-même recyclé ensuite.
Il faudrait donc avoir moins de vêtements, et revenir à des tissus plus naturels. Mais là c’est la couleur qui pose problème.
Trop de couleurs
Difficile de détacher l’évolution de notre confort de celle de la couleur. Pastel, safran, ocre, coquillage, cochenille,…les humains utilisent des pigments et teintes naturels depuis plus de 200 000 ans. Jusqu’à cette année de 1856 où William Perkin trouva par hasard comment fabriquer de la couleur mauve à l’aide d’un dérivé du charbon. Le jeune chercheur de 18 ans cherchait un remède contre la malaria : sa découverte allait révolutionner la manière de fabriquer et diffuser la couleur. On pouvait désormais fabriquer presque toutes les couleurs à partir de dérivés pétroliers. L’Angleterre se mit à exporter ses teintures “synthétiques” dans les pays producteurs : des bleus en Inde, des pourpres au Mexique, des jaunes en Chine, condamnant les productions artisanales locales basées sur des pigments naturels.
Le lien millénaire entre une couleur et un lieu allait être rompu - définitivement. Modernité et mondialisation rimeraient avec couleurs.
L’usage de teintures synthétiques a eu très tôt un énorme coût environnemental et en matière de santé : pollutions des cours d’eau et des nappes phréatiques, intoxications des riverains mais aussi des porteurs de tissus. La situation a à peine évolué : les pays qui fabriquent nos vêtements sont aussi les moins regardant sur la pollution pourtant dramatique de leurs cours d’eau.
Le problème est que, là aussi, il est difficile de revenir en arrière. Beaucoup de matériaux “naturels” utilisés pour les teintures avant Perkin étaient extrêmement toxiques. Le plomb, les sels et sulfures causaient la mort des ceux qui devaient les extraire. Surtout, ces matériaux ne sont “biodégradables” que dans des quantités acceptables pour l’environnement. Encore une fois, les volumes atteints aujourd’hui sont tels qu’il serait presque plus dangereux d’utiliser certains produits “naturels” que leurs équivalents synthétiques.
Il faut réduire à la source la production de vêtements. Et sans doute aussi revoir notre soif de couleurs. Je n’y connais rien mais j’imagine que nous allons revenir vers des teintes plus naturelles au sens « non teintées », laissant apparaître les imperfections et les structures des matériaux.
Peut-être que la couleur deviendra une forme de luxe, comme dans l’Ancien Régime. Ou au contraire l’absence de couleur sera un signe de sobriété respecté à l’instar des religieux. À moins que comme dans l’Antiquité nous portions uniquement des couleurs en lien avec notre territoire ?
De tous les bouleversements que nous nous apprêtons à vivre, ce changement ne sera pas le moins intéressant à suivre 🟣
🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec le sujet traité cette semaine.
Sobriété énergétique et doigts gelés en entreprise : « Je t’assure, il fait vraiment froid ! » : dans les entreprises à 19 °C, la bataille du thermomètre
Crise énergétique : les Français se tournent vers des vêtements chauds
Sur le coût environnemental délirant du secteur de l’habillement :
La mode sens dessus-dessous - ADEME
The Global Glut of Clothing Is an Environmental Crisis
Environnemental cost of colors
Sur l’histoire (toxique) de la couleur : The Toxic History of Color
La couleur de vos vêtements permet de savoir s’ils sont plus “durables” Just by Looking at Their Colour: Can You Tell if Clothes Are Sustainable?
À bien y regarder, le monde de nos parents était plus coloré que le nôtre. Pourquoi la couleur a-t-elle disparu de notre quotidien ?
Sur les sites web éco-conçus (non ils ne sont pas tous en noir & blanc) Éco-conception : 8 exemples de sites web et applis « verts ».
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Stéphane
Je suis Stéphane Schultz, de 15marches. Le jour je suis consultant, je prends des trains à travers les plaines. La nuit je lis et j’écris cette lettre.
Sujet passionnant, qui sort des sentiers battus, merci !
Je recommande aussi la lecture de Michel Pastoureau, historien des couleurs. Son bouquin sur le bleu en particulier est très intéressant, racontant un passage de la rareté à l'omniprésence aujourd'hui, et les raisons techniques et culturelles sous jacinthes.
ah tiens, je viens de voir ça https://www.youtube.com/watch?v=tUgceJbZ598