Voiture autonome : Uber et Waymo sont dans un bateau
La nouvelle qui aurait fait les gros titres il y a 5 ans vous a sans doute échappé : Uber va (enfin) utiliser des véhicules autonomes, et ils seront fournis par... Google. #223
👨🚀 Tous les mardis, Stéphane décrypte l’impact des technologies sur l’économie et la société... En savoir plus sur cette lettre : À propos
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🧭 De quoi allons-nous parler
« Ceux qui savent prédire le futur sont appelés les futurologues. Ceux qui savent quand il arrivera sont appelés les millionnaires ». Derrière cette citation de l’analyste Horace Dediu se cache l’un des secrets les plus mal gardés : en matière d’innovation, il ne suffit pas de trouver la bonne réponse au bon problème, il faut la trouver au bon moment.
Le soucis est que les médias mainstream manquent souvent de patience. Telle une héroïne hollywoodienne, l’innovation passe ainsi des sommets “d’attentes exagérées” à la “vallée de la désillusion”. Les plus chanceuses atteindront le “plateau de la productivité”. Ce “cycle de la hype” des innovations est très bien représenté par l’éponyme Gartner Cycle.
Déclencheur d’innovation, pic des attentes exagérées, vallée de la désillusion, pente de l’illumination, plateau de productivité…
Dans le secteur des mobilités, deux innovations de rupture ont parfaitement symbolisé ce cycle : les plateformes de VTC et les véhicules autonomes.
La première, que l’on peut désormais résumer à une marque - Uber, incarne tout à la fois le mode de vie, le modèle économique et les excès des années 2010. Après une période de sympathie, la startup californienne est vite devenue infréquentable entre révolte des taxis et dérives de ses dirigeants. Mais son usage n’a jamais faibli, et elle est aujourd’hui en quasi-monopole.
La voiture autonome symbolise elle le formidable excès “d’attentes exagérées” qui a saisi le monde du transport depuis une fameuse compétition organisée en 2005 et le lancement ensuite de la Google Car. Pas une année sans qu’on nous promette des robotaxis au coin de la rue. Jusqu’à cette soirée de mars 2018 au cours de laquelle une Volvo circulant en “mode autonome” heurta sans même freiner une piétonne à Tempe, Arizona. La piétonne ne pourra être ranimée et le propriétaire de la Volvo, Uber, se retirera peu après de la course au véhicule autonome. Il sera bientôt suivi par la plupart des constructeurs automobiles tandis que Google, avec sa filiale Waymo, continuera lui à améliorer ses technologies autonomes.
Rétrospectivement, Uber et la voiture autonome ont sans doute représenté le peak expectation d’une période désormais révolue. Celle où l’on pensait que la technologie allait changer radicalement notre quotidien, et que les startups californiennes étaient les mieux placées pour la mettre en oeuvre. Faut-il pour autant les enterrer ?
J’ai personnellement beaucoup écrit, parlé et travaillé en tant qu’expert sur ces deux sujets. L’annonce la semaine dernière d’un partenariat entre Uber et Waymo pour que le premier utilise les véhicules autonomes (désormais opérationnels !) du second a donc retenu toute mon attention. Mais la nouvelle qui aurait fait couler beaucoup d’encre il y a 7 ou 8 ans n’a été quasiment reprise par aucun média 🧐
Si vous connaissez cette newsletter, vous savez déjà que ce type de “dissonance” me passionne. J’ai donc cherché à comprendre ce que signifiait ce partenariat, à qui il pouvait bénéficier et quels enseignements en tirer en matière d’innovation.
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🎯 Cette semaine
À chaque lettre un nouveau sujet décrypté : prendra-t-on demain un Uber sans chauffeur ?
On les avait quitté fâchés. Waymo accusant Uber d’avoir racheté sciemment une startup dont le fondateur avait subtilisé pas moins de 14 000 fichiers à la barbe de la filiale de Google. Un accord financier allait être trouvé sous l’égide du nouveau président d’Uber embauché pour nettoyer les écuries d’Augias laissées par son prédécesseur.
Le lièvre, le pangolin et la tortue
Un mois plus tard, l’accident mortel de Tempe allait brutalement interrompre les ambitions du VTCiste californien et mettre un coup d’arrêt général à la hype sur le sujet. Sa priorité allait être désormais de limiter ses dépenses pour faciliter son introduction en bourse.
C’était fin des années 2010, avant la pandémie qui allait faire mettre un genou à terre à Uber pour son activité “Ride” mais faire exploser son activité “Eats” (et achever ses derniers concurrents).
C’était également avant la baisse des publicités en ligne et des difficultés qui allaient obliger les géants de la tech, dont Google, à reconsidérer la plupart de leurs investissements. Exit un certain nombre de projets Moonshot comme le développement de la fibre, les drones, l’immobilier ou…le covoiturage. Après avoir longtemps cru que “Google allait manger le monde”, on s’apercevait que finalement, à l’inverse d’Amazon ou Apple, la firme de Mountain View semblait incapable de réussir ailleurs que dans son coeur de métier historique.
Un projet pourtant n’a jamais été abandonné par Google : faire rouler des véhicules autonomes. Bien entendu l’entreprise a remisé la jolie “Koala” au garage et renoncé à construire ses propres véhicules. Mais c’était pour mieux se concentrer sur la conception de solutions à haute valeur ajoutée comme le LiDAR, les capteurs et les briques hardware et software nécessaires. Et tant pis si ces technologies faisaient leur nid dans les véhicules des autres. Qu’importe le flacon….
La Google Car, aussi appelée Firefly ou Koala…: 2 places, pas de volant ni de tableau de bord
Sans faire de bruit, Waymo a donc accumulé les miles, améliorant petit à petit les performances et la fiabilité de ses technologies. Jusqu’à obtenir les autorisations nécessaires pour transporter des passagers, d’abord gratuitement et avec un safety driver, puis à titre commercial et sans conducteur. Les journalistes ne font plus le déplacement, mais c’est tout de même un sacré pas de franchi !
Enlever le chauffeur mais pas le transport
Et c’est à ce moment là que se pose la question essentielle de “à quoi (et à qui) cela va-t-il servir” ? Contrairement à la hype des années 2010, il n’est plus question de vendre ces véhicules à des particuliers. Le marché se limitera aux (robo-)taxis, du moins pour le moment.
Google devait dès lors trouver un opérateur, c’est à dire : un professionnel capable de gérer les flottes de véhicules, le respect des réglementations locales, établir les tarifs, la relation client, l’information et le paiement.
Et oui transporter les gens, c’est d’abord et surtout exécuter un service. Bien entendu Google fournira sans aucun doute en plus du véhicule la recherche et l’optimisation d’itinéraires, mais force est de reconnaître que ce partenariat fait sens comme on dit dans les grandes entreprises.
Uber est en effet présent dans le monde entier. Il connaît la réglementation ville par ville et a développé, certes sur le tard, des relations avec les autorités publiques, les aéroports et les gares partout sur la planète. Uber est également présent dans les smartphones de nombreux utilisateurs, 130 millions plus précisément, avec une croissance toujours à deux chiffres. J’ai bien lu que certains commentateurs considéraient que “Google pouvait sans difficulté coder une app comme Uber en quelques semaines”. C’est peut-être vrai, mais encore une fois conquérir des utilisateurs des deux côtés de la plateforme (chauffeurs et voyageurs), ce n’est pas comme déployer une nouvelle version de Google Maps sur Android. C’est une autre culture. L’échec de Waze Carpooling montre bien la difficulté de créer un service lorsqu’on a aucune implantation locale.
On peut reprocher beaucoup de choses à Uber, mais leur capacité à développer leur service dans de nouvelles villes à marche forcée est remarquable. Leur résilience également, avec la croissance des activités de livraison de repas qui a servi de relais au moment où les voyageurs étaient confinés par la pandémie.
Alors, qui va plateformiser qui ?
Il reste encore de multiples questions à régler, comme la responsabilité en cas d’accident. Mais celle qui devrait capter l’attention de tous les observateurs est le partage de la valeur.
Qu’est-ce qui sera plus important : se déplacer ou se déplacer en véhicule autonome ? Uber possède un avantage de taille. Ses 3,5 millions de chauffeurs pourront au moins durant la phase de montée en puissance compléter le réseau de véhicules autonomes. Et cette phase durera peut-être plusieurs décennies.
Après tout, être transporté avec ou sans chauffeur, est-ce que cela va vraiment changer votre expérience du trajet ?
De l’autre côté, l’activité de livraison viendra également compléter les trajets, et donc la productivité, des véhicules Waymo. Imaginez des véhicules qui tournent 24/7 ou presque, pour transporter indifféremment des actifs, des enfants et livrer des plats ou des marchandises. Pas partout, pas tout le temps, mais progressivement.
Do believe the hype
Rassurez-vous, je ne suis pas en train de vous soutenir que ces véhicules envahiront demain nos rues. Je peux maintenant le dire : en 2018 j’avais déroulé sur scène à Web2day les 5 étapes à franchir pour que la voiture autonome arrive au marché.
Plusieurs réponses ont déjà été apportées, en particulier par ce partenariat et les progrès de Waymo. Mais il en reste de nombreuses à trouver, en particulier en matière de régulation et d’appétence des autorités…de transport public.
La stratégie de déploiement en flotte gérée par un opérateur est indéniablement préférable au scénario cauchemardesque de la voiture individuelle autonome. Le fait que cet opérateur soit Uber (+ Waymo) ne devrait pas en revanche faciliter son adoption par les collectivités.
Nous en sommes toujours au point de bascule entre deux paradigmes :
le transport public qui se numérise
le numérique qui étend son emprise au secteur des transports publics
L’alliance entre les deux géants du numérique a du sens dans le deuxième, très peu dans le premier. Pour atteindre la “pente de l’illumination” et le “plateau de productivité” de la Courbe de Gartner, il faudra pourtant concilier les deux.
À suivre !
🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec le sujet traité cette semaine.
L’article d’Electrek sur le partenariat entre les deux firmes - Waymo and Uber sign multi-year partnership to provide driverless rides and deliveries
Les commentaires de la communauté Hacker News, toujours intéressants à décrypter. Comments on Waymo and Uber partner to bring autonomous driving technology to Uber
L’article de l’Usine Digitale - Uber va utiliser des robots taxis Waymo pour ses courses et livraisons de repas
🤩 On a aimé
Nos trouvailles de la semaine, en vrac et sans détour
Je continue à explorer le sujet de l’intelligence artificielle et ses applications. Quelques trouvailles récentes :
Le “moteur de similarités” développé par eBay pour aider ses utilisateurs à trouver le bon produit - eBay’s Blazingly Fast Billion-Scale Vector Similarity Engine
Un jeu simple et sympa pour savoir si vous savez déceler qui vous répond : humain ou robot ? Humanornot
Attention c’est du lourd : la conférence de Andrej Karpathy, l’un des fondateurs d’OpenAI, passé par…Tesla en tant que responsable des véhicules autonomes - State of GPT
Pour finir, plus léger et à consommer sans modération : l’incontournable lettre de tendances de Pop-Up Urbain - Sans Alcool
💬 La phrase
Traduction : « Pour remplacer les codeurs avec de l’intelligence artificielle, les clients vont devoir décrire précisément ce qu’ils veulent. Nous sommes tranquilles ».
C’est terminé pour aujourd’hui !
À la semaine prochaine (enfin, peut-être car j’ai du mal à tenir le rythme…je fais de mon mieux).
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Et n’oubliez pas la seconde newsletter de 15marches, Futur(s) :
👩🏻🚀 Tous les jeudis, mon associée Noémie raconte les futurs possibles en fiction.
Stéphane
Je suis Stéphane Schultz, de 15marches. Le jour je suis consultant, je prends des trains à travers les plaines. La nuit je lis et j’écris cette lettre.
Passionnant, comme toujours ! Merci.
Ça fait maintenant plusieurs années que je suis cette newsletter attentivement sans faire de retour. Je viens de me lancer à faire de même, notamment parce que la votre m'a inspiré.
Merci de nous ouvrir l'esprit.
C'est ingrat de travailler seul face à son ordi sans réaction des lecteurs, mais nous sommes nombreux à lire cette lettre chaque semaine et à l'apprécier.