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Quand la Silicon Valley arrête de subventionner le mode de vie des jeunes urbains. La fin du "tout pas cher & en un clic" ? Newsletter #157
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Cette semaine nous nous intéressons à l’effet du déconfinement sur les services numériques du quotidien. Un article de Kevin Roose du New York Times évoque avec malice la fin du mode de vie des Millenials (la génération qui a entre 25 et 35 ans aujourd’hui). Un mode de vie largement subventionné ces dernières années par les venture capitalists du monde entier à grand coup de prix unique, promos et autres essais gratuits pour lancer leurs “apps”. La pandémie a rebattu les cartes et cette période semble révolue…Si vous n’aviez jamais compris comment faisaient les apps pour perdre autant d’argent pendant aussi longtemps, l’édition de cette semaine devrait vous intéresser.
🎯 Cette semaine
Un sujet qui nous a marqué.
Transport, pressing, repas, baby-sitting, cinéma illimité,... Vos activités quotidiennes à un clic de votre smartphone, paiement uniquement à l’usage et promos à gogo : le style de vie Balenciaga avec le budget pour Zara. Vous avez aimé les années 2010 ? Alors vous risquez de détester les années 2020. Non pas que ces applis vont disparaître, bien au contraire. Mais le monde post-COVID semble beaucoup moins favorable à la frénésie de conquête des utilisateurs “quoi qu’il en coûte” qui a caractérisé la période précédente. La dépendance des jeunes urbains aux startups Maman-as-a-Service devrait (enfin) coûter son juste prix. Explications.
Les restaurants rouvrent, les masques tombent et la vie sociale semble reprendre presque comme avant. En apparence en tout cas. La pandémie a laissé des traces diverses dans le monde des apps grand public. Certaines ont tiré parti de la crise, d’autres ont cessé leur activité. Les survivantes doivent gérer des courants contraires en matière de consommation, pouvoir d’achat et aussi de stratégie de leurs actionnaires aux poches jadis si profondes.
Prenez Uber : si l’utilisation d’Uber Eats a explosé pendant le confinement, les services de VTC ont eux subi la double peine avec le couvre-feu et un secteur du voyage en berne. Conséquence : de nombreux chauffeurs ont trouvé une autre activité et l’offre a sévèrement diminué. Alors que la demande repart, les prix s’envolent outre-Atlantique : + 40% selon l’article du New York Times cité plus haut. Airbnb a choisi de privilégier les voyageurs au début du confinement en facilitant leur remboursement. Aujourd’hui avec la reprise des voyages, les prix flambent : + 35%.
La faute aussi aux changements de réglementation : les chauffeurs Uber peuvent désormais refuser beaucoup plus facilement des courses et se déconnecter sans risque. Devant la pénurie de main d’oeuvre, la plateforme de San Francisco devrait également monter le niveau de protection sociale et donc les coûts fixes. Les “hébergeurs” sur Airbnb sont soumis eux aussi à des contraintes de plus en plus élevées, et la plateforme semble vouloir à nouveau privilégier les “vrais” particuliers. Le service hôtelier au prix de la chambre d’amis, c’est fini.
Ces deux entreprises sont par ailleurs cotées en bourse, ce qui les rend beaucoup plus sourcilleuses sur les dépenses marketing et leur rentabilité. Uber a brûlé plus de 20 milliards de capitaux avant son entrée en bourse (jusqu’à 1 million de dollars par semaine dans la seule ville de San Francisco). Bird perdait 9,66 $ pour 10$ gagnés… J’espère que vous en avez bien profité, car cela ne se reproduira sans doute plus jamais.
Si les applis de livraison de repas semblent avoir pris le relais en matière de “rasage gratis dès maintenant”, cette situation ne devrait pas non plus durer éternellement. La réouverture des restaurants va faire baisser la demande. Le britannique Just Eat s’est distingué en annonçant qu’il salariait désormais ses livreurs. Une étude récente (voir plus bas) a montré la condition plus que précaire de ceux qui vous apportent vos sushis à 22h. Le législateur se penchera bien un jour sur le sort de ces malheureux. Par ailleurs, mon passé de transporteur me fait penser qu’une activité qui s’appuie sur l’utilisation illégale de scooters et de vélos normalement destinés à la location ne fera pas long feu. À un moment, il faudra “passer au contrôle technique”. Souvenez-vous d’Uber Pop ou Heetch.
Mais ces deux facteurs ne sont pas les seuls à influer sur les prix de ces services.
Je ne résiste pas à vous rappeler ce que j’écrivais en janvier 2020, avant la pandémie : ·
Autre conséquence majeure : de plus en plus de services de notre quotidien vont devenir payants, sous une forme ou une autre.
“Dis papa c’était comment quand tout était gratuit ?”. Sous la pression de leurs actionnaires (…), les entreprises technologiques vont devoir trouver d’autres leviers de croissance que la gratuité et la promotion-massive-de-services-déficitaires. Conséquence : des croissances plus lentes, beaucoup de faillites et des concentrations plus rapides (...).
Cette situation paradoxalement profitera aux GAFAs et aux plus grosses startups, celles qui ont survécu à la période précédente d’hypercroissance. Face à des budgets de développement et des réglementations de plus en plus coûteux, ces entreprises devraient profiter de la monétisation générale des services du quotidien. Les nouvelles réglementations ne feront qu’éliminer leurs concurrents les moins avancés.
Pour faire un parallèle avec l’histoire du pétrole, disons que nous sommes en octobre 1973, à la veille du choc pétrolier. C’est la fin de l’énergie pas chère, et plus rien ne sera comme avant. La hausse des cours du pétrole n’a en rien tué les entreprises pétrolières, pas plus qu’elle n’a freiné la consommation. Au contraire, elle leur a apporté les finances nécessaires à des prospections de plus en plus coûteuses et hasardeuses. Et pour cause, les économies des pays développés étaient déjà totalement dépendantes à la croissance énergétique, que rien ne pouvait arrêter. La monétisation des services du quotidien devrait permettre aux entreprises technologiques de financer des technologies encore plus pointues et un développement dans le BtoB. Apple et Google ont déjà montré la voie.
Photo : Nikola Johnny Mirkovic / Unsplash
Les services numériques ne vont pas disparaître. Ils vont encore se concentrer, et leurs tarifs augmenter. Cette concentration profitera aux 5-6 géants qui contrôleront les grands secteurs d’activité : commerce, entertainment, médias, éducation, transport. Le temps du “winner takes all” est arrivé : la croissance à perte n’était pour eux qu’une stratégie d’investissement permettant d’éliminer les rivaux moins argentés et de capturer les clients dans leurs “jardins fermés”. La suite de l’histoire est rose (pour eux) : ils profiteront encore longtemps de financements abondants grâce au faible coût de l’argent et des perspectives de marges séduisantes.
Exemple : chaque nouvelle activité d’Amazon profite de la position exceptionnelle acquise en 14 années sans profit. La publicité par exemple devrait lui rapporter à elle seule plus de 30 milliards de dollars en 2021. Elle existait à peine il y a 5 ans (quand tout le monde disait qu’Amazon ne gagnerait jamais d’argent, vous vous souvenez ?). Apple peut durcir les règles pour les tiers qui vendent leur services via son Appstore : comme pour le pétrole, les développeurs sont déjà trop dépendants. Google fait désormais payer l’utilisation de ses services cartographiques, et maintenant le stockage des photos. Et les profits colossaux permettent de copier toute innovation du concurrent ou le racheter si besoin. Échec et mat ?
Et non. Les arbres ne montent pas au ciel.
Le régulateur, qui on se souvient avait “brisé” le monopole des opérateurs téléphoniques et forcé l’ouverture de Microsoft aux solutions tierces, devrait enfin s’occuper de l’hégémonie des plateformes numériques. La toute récente nomination à la tête de l’Autorité de la Concurrence de Lina Kahn, juriste de 32 ans (imaginez ça en France !), par Joe Biden est plus qu’un signal aux GAFAs. Celle-ci a brillamment démontré l’inadéquation des règles actuelles antitrust : ces règles considèrent avant tout l’augmentation des prix comme un indice de comportement anti-concurrentiel. Or nous sommes bien dans le cas contraire : la position dominante est acquise grâce à des prix bas. Le gouvernement fédéral semble prêt à y remédier, comme d’ailleurs la Commission européenne de ce côté-ci de l’Atlantique.
L’ère des repas gratuits est terminée pour les utilisateurs. Celle de l’hégémonie des licornes dopées à l’argent pas cher devrait connaître sa fin également. En attendant le prochain cycle d’innovation.
🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec le sujet traité cette semaine.
L’article qui nous a inspiré ce billet : Farewell, Millenial Lifestyle Subsidy
Ok, nous n’avions pas prévu la pandémie, mais la fin du “free lunch” était en position n°1 dans nos prévisions pour 2020. La preuve ici : En finir avec les années 2010
Je ne suis pas fan des classifications, mais voici la définition des Millenials, ou Génération Y.
Notre article sur la stratégie de croissance des startups, avec un titre justement incompréhensible pour la Génération Y. Hypercroissance tu perds ton sang froid
L’étude de l’Université Gustave Eiffel sur la condition des livreurs de repas en Ile-de-France. Étude sur les livreurs des plateformes de livraison instantanée du quart nord-est de Paris
Le célèbre article de Lina Kahn, la nouvelle directrice de l’autorité de la concurrence américaine, sur Amazon. Amazon’s Antitrust Paradox
Comment les régulateurs ont cassé le monopole des télécommunications aux USA. Break up of the Bell System.
Pour celles et ceux qui sont comme moi intéressés par la “machine Amazon”, voici le fameux “mémo” envoyé en 2002 par Jeff Bezos à tous ses salariés. Il fixe les règles qui ont fait depuis d’Amazon une entreprise aussi puissante et singulière. C’était il y a 20 ans, et la plupart de ses concurrents ne comprennent toujours pas de quoi il s’agit. The API mandate
Si vous ne comprenez pas non plus, ne vous inquiétez pas : appelez nous.
🤩 On a aimé
Nos trouvailles de la semaine, en vrac
L’orage gronde au-dessus de ma tête en ce moment même : une bonne occasion de partager cet outil open source de visualisation des activités orageuses. Mettez le son c’est amusant. Blitzortung - La foudre et l’orage en temps réel
Si vous en avez marre de vos meubles Ikea mais vous ne voulez pas les jeter, cet article contient les ressources indispensables pour pouvoir les transformer et leur trouver de nouveaux usages. Un business complet s’est même créé autour du hacking de ces meubles et objets. The thriving business of ‘Ikea hacking’
Pour terminer, fête des pères oblige (mes enfants ont oublié, mais je les aime quand même), un article intéressant sur le rôle de père chez les mammifères 🦍 Evolution of the dad.
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Stéphane