🛰 Le GPS à la croisée des chemins
Waze, Mappy, Google Maps... ces services pourront-ils encore rester "neutres" alors que les territoires veulent les utiliser pour réduire les émissions de CO2 ? Décryptage #193
👨🚀 Tous les mardis, Stéphane décrypte l’impact de la transformation numérique sur l'économie et la société. En savoir plus sur cette lettre : À propos
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💌 Vous et moi
J’ai la chance de faire un métier au croisement entre les technologies, la politique publique et les modes de vie.
J’accompagne notamment depuis quelques semaines une startup d’État qui crée une solution numérique permettant aux poids lourds de mieux respecter la réglementation qui les concerne afin d’éviter accidents, nuisances et émissions de CO2. En français : une solution qui facilite la diffusion des règles que créent les collectivités (circulation ou stationnement, travaux…) par les solutions numériques utilisées par les conducteurs.
Derrière ce sujet en apparence technique se cache un enjeu beaucoup plus large : les solutions de navigation que nous utilisons quotidiennement pour nous déplacer comme Waze, Mappy ou Apple ont pris une telle importance qu’elles ont une responsabilité dans la manière dont nous nous déplaçons : itinéraire, moment ou choix du mode de déplacement,…leur rôle est devenu central. Or ces solutions ne répondent pour le moment qu’à leurs propres logiques et ne sont soumises qu’à très peu d’obligations. Pour les pouvoirs publics, c’est une boîte noire.
D’ailleurs de nombreux élus locaux se plaignent de voir des milliers de véhicules emprunter des itinéraires non adaptés, suivant les recommandations de leur GPS favori. De même, la mise en place de restrictions de circulation pour les véhicules les plus polluants (Zones à Faibles Émissions, restrictions locales) va imposer la diffusion numérique de ces règles : elles ne pourront pas être uniquement découvertes au moment de pénétrer dans les zones concernées. Le transfert de données, timidement testé dans quelques villes, va devenir obligatoire.
Bref, comme pour beaucoup de solutions numériques, le temps du Far West est terminé : les GPS vont devoir tenir compte voire aider au déploiement des politiques de mobilité et de lutte contre le dérèglement climatique.
Prenons le temps de remettre en perspective ce que la géolocalisation a apporté à notre quotidien, et ce qu’elle pourrait faire à l’avenir.
Photo : Willy Treutner via Unsplash
🎯 Cette semaine
Nous avons analysé pour vous…
C’était il y a presque 40 ans. Un Boeing 747 parti de New York à destination de Séoul allait suivre une trajectoire de vol anormale : en survolant le Kamtchatka, l’avion de Korean Air violait l’espace aérien de l’URSS, ce qui en pleine guerre froide équivalait à une agression. Convaincues d’avoir affaire à un avion espion, les forces aériennes russes allaient non sans mal abattre le Boeing, faisant 269 morts. La crise internationale qui suivrait aura une conséquence inattendue : l’ouverture aux civils par les Américains de leur système militaire de géolocalisation par satellite Global Positionning System, le GPS. L’erreur des pilotes de l’avion abattu aurait pu être facilement évitée s’ils avaient été dotés de GPS.
Depuis ce drame en 1983 la technologie désormais accessible à tous est devenue une brique indispensable à des milliers d’activités, de l’agriculture aux applications de rencontre en passant par la surveillance de ses enfants. C’est même sans doute l’un des meilleurs exemples de la manière dont l’ouverture d’une technologie permet de créer de la valeur à une échelle mondiale. Les premiers terminaux pesaient 16 kg, mais la généralisation des téléphones mobiles équipés à partir de 2004 de capteurs GPS a permis un développement exponentiel des usages. 54% des utilisateurs de smartphones affirment utiliser régulièrement des services basés sur la géolocalisation.
La magie du GPS tient beaucoup à sa simplicité : votre terminal se connecte avec au moins 3 satellites qui lui indiquent leurs distances, positions et heures. Quelques corrections automatisées plus tard (je vous passe les détails hein c’est pas Jamy ici), vous obtenez, ou plutôt, les services de votre smartphone obtiennent, une position précise à 5 mètres près. Certains utilisateurs autorisés peuvent même obtenir un positionnement à 2 centimètres près ! Et cela, sans connexion à internet ni même GSM (téléphonique). Le tout gratuitement.
Contrairement à ce qu’on entend parfois, vous n’êtes pas “traqués” ou suivis par votre GPS. Aucun satellite ne surveille vos escapades pendant les heures de travail. Ils ne servent qu’à fournir des données permettant à votre appareil de calculer sa position, comme les bons vieux phares ou balises d’antan. L’utilisateur ne transmet aucune données aux satellites.
En revanche, la connectivité de votre smartphone aide à améliorer la géolocalisation lorsque celle-ci est la plus complexe, en particulier au pied des immeubles et dans les secteurs les plus denses. Les ingénieurs des entreprises dont le GPS est une brique vitale comme les VTC, livreurs,…n’ont de cesse d’en combler les manques : en couplant différents services de satellites, en utilisant le positionnement de votre smartphone par rapport aux bornes Wi-Fi ou aux autres utilisateurs. Ces services, eux, vous suivent, parfois au mètre près.
Évidemment, l’ouverture généralisée du GPS décidée en 1983 a elle aussi connu ses limites. Dès 1999 les Américains restreignaient l’accès au GPS pour l’armée indienne. La prise de conscience des questions de “souveraineté” pour les grandes nations fut brutale. Chacun à son rythme l’Inde, la Chine, la Russie et - eureka ! - l’Europe, allaient développer leur propre système de positionnement global par satellite. Ce qui se passe actuellement en Ukraine avec la coupure des communications devrait convaincre les plus sceptiques de l’importance de la maîtrise de ces infrastructures de communication.
Pour finir sur cette petite page d’histoire des technologies, rappelons que le GPS a provoqué un changement radical dans le rapport à l’environnement qui nous entoure. Les progrès en matière de sécurité, d’efficacité et de productivité sont indéniables. Devenu un réflexe, l’usage de ces solutions nous a même fait perdre une partie de nos capacités naturelles de repérage. Ne pas être localisé par ses proches devient un acte délibéré, presque militant. On parle même de “fin du hasard des rencontres” tant nous sommes devenus localisables et prévisibles. Terminées aussi les querelles de nos parents quand l’un conduisait et l’autre déchiffrait tant bien que mal la carte routière…
Le GPS a en effet été couplé à des bases de données - relief, bâti, infrastructures, adresses - et des calculateurs d’itinéraires pour proposer des solutions de guidage en temps réel. Ces bases de données ont été patiemment construites par des entreprises publiques (IGN), privées (Google, Apple, Tom Tom ou Here la seule européenne1) ou collaboratives (Open Street Map). La transmission de données permet aussi de connaître la position et surtout la vitesse des autres véhicules (en réalité : de leur smartphone) en temps réel. Des solutions comme Waze en déduisent la congestion et peuvent adapter l’itinéraire proposé initialement au trafic existant.
Mais ces solutions ont pour le moment bien peu de données sur l’infrastructure elle-même et les règles qui s’y appliquent. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, il n’existe pas de base de données des vitesses, gabarit, hauteur, interdictions,…pour les infrastructures. Les solutions de guidage se basent en réalité sur…les images que captent les caméras de leurs véhicules qui sillonnent les rues. Concrètement : elles “lisent” les panneaux à l’aide de technologie de reconnaissance d’images. Le rafraîchissement de ces données dépend ainsi de la fréquence de passage.
Un autre drame, plus récent, a montré que la diffusion des informations était encore bien imparfaite : un chauffeur de poids-lourds a pu emprunter un itinéraire comportant un ouvrage totalement inapproprié au poids de son véhicule, entraînant l’effondrement de l’ouvrage et d’un autre véhicule.
Pont effondré de Mirepoix-sur-Tarn : le poids lourd pesait plus de 50 tonnes
Le système actuel a-t-il atteint ses limites ?
La ville d’aujourd’hui est au croisement entre le monde d’avant, avec ses panneaux et ses policiers, et le monde d’après, où conducteurs et piétons font confiance aux solutions qui les guident pas à pas. Au milieu, les pouvoirs publics se demandent comment utiliser les solutions numériques pour diffuser une réglementation de plus en plus complexe et agir sur la demande.
Ce qui est en jeu est la place de ces outils de navigation dans la sphère publique au sens large : alors que la loi a récemment imposé de nouvelles obligations aux plateformes, jusqu’où faudra-t-il “numériser” en amont la production des règles de circulation pour permettre leur diffusion ? Les Waze, Mappy et consorts peuvent-elles devenir de véritables outils au service des pouvoirs publics, et les aider à déployer dans chaque habitacle leur politique de mobilité ?
Comme dans d’autres domaines, nous entrons dans une nouvelle phase du rôle des technologies. De militaires, elles sont devenues grand public, jusqu’à atteindre une telle importance que les autorités doivent intervenir pour réguler leur usage. Après avoir longtemps échappé aux contraintes terrestres, il semble qu’il est temps pour ces solutions GPS de redescendre sur le plancher des vaches.
À suivre !
Pour info concernant la startup d’État, nous recrutons 2 chargés de déploiement, contactez-moi si vous êtes intéressé·e.
🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec le sujet traité cette semaine.
Comment fonctionne un GPS (vidéo) ? How Does GPS Work? - NASA
Le GPS : technologie, histoire et évolutions. GPS (Wikipedia)
La capacité des solutions GPS à guider les automobilistes vers des voiries peu adaptées inquiète les élus. Ici une question/réponse de parlementaires. Prise en compte par les opérateurs GPS des nuisances liées à l'utilisation du réseau routier secondaire
L’article L1115-8-1 qui instaure différentes obligations d’information et de guidage pour les opérateurs de solution de navigation (aka Waze, Mappy,..). Code des Transports
Un des secrets les moins bien gardés du web : c’est vous qui aidez l’intelligence artificielle de Google et consorts à améliorer leurs solutions. Répondre à un captcha, c'est travailler gratuitement pour Google
La tragédie du vol Korean Air 007 abattu par l’armée de l’air de l’URSS, à la suite de laquelle les USA ont décidé de rendre la technologie GPS accessible à tous. Comment un avion de chasse soviétique nous a donné Google Maps
Comment les ingénieurs d’Uber cherchent à améliorer la géolocalisation des véhicules dans les villes denses. Rethinking GPS: Engineering Next-Gen Location at Uber
Signe des temps : se géolocaliser n’est plus vu comme une menace pour la vie privée mais au contraire comme un mode d’expression Tendances : ces joggeurs qui font de l’art avec leur GPS
La bataille suivante, celle de l’internet par satellite, et le rôle de Starlink dans l’appui aux forces ukrainiennes How Elon Musk’s space satellites changed the war on the ground
Il y avait 1000 satellites en orbite en 2021. On en attend 100 000 d’ici peu. Comment régler ce problème ? Space is Getting Crowded, So This Startup Built a Solution
🤩 On a aimé
Nos trouvailles de la semaine, en vrac et sans détour
On a failli écrire sur ce sujet cette semaine : l’histoire d’eBay, précurseur des plateformes et chantre de la confiance entre utilisateurs. Wallets and eyeballs: how eBay turned the internet into a marketplace - Guardian
Autre signe des temps : comment les migrants médiatisent leur traversée de la Méditerranée sur TikTok, et les questions que cela pose en terme de modération notamment. Inside the risky world of “Migrant TikTok”
Plus près de nous, l’excellente newsletter ZeVillage fait le point sur un marronnier des médias : la prétendue fuite des citadins à la campagne Exode urbain : il se passe des choses
Et si vous souhaitez vraiment déménager, cette solution permet de connaître à l’avance les risques environnementaux, mais aussi les services autour de votre futur logement. Réussir vos visites - MAIF
Pour terminer, on ne se lasse pas de ces cartes interactives qui montrent en temps réel les mouvements des trains suisses. Un bel usage du GPS et de l’open data. Transit-SBB
C’est fini pour aujourd’hui.
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Et n’oubliez pas la seconde newsletter de 15marches, Futur(s) :
👩🏻🚀 Tous les jeudis, Noémie raconte les futurs possibles en fiction.
Pour ma part je vous dis : à mardi prochain !
Stéphane
Je suis Stéphane Schultz, de 15marches. Le jour je suis consultant, je prends des trains à travers les plaines. La nuit je lis et j’écris cette lettre.
On me signale dans l’oreillette que Tom Tom est également européenne. Toutes mes excuses
Cela fait quelques années que je pense à un City Operating System. Un système de gestion de l'espace public communicant avec les applications de guidage. Les villes pourraient définir le zones à éviter (à cause d'un événnement, une manifestation, etc.) et les rendre disponibles aux applicatiosn de guidage. Depuis que j'y pense, je suppose que cela existe déjà... Sur la collaboration entre les données des véhicules et les pouvoirs publics, il faut regarder ce que propose actuellement la société Mobilize (groupe Renault). C'est décrit dans ce petit article : https://www.larevuedudigital.com/les-vehicules-connectes-cles-de-nouveaux-business-pour-renault-grace-a-leurs-donnees/
Une des ruptures qui n'est pas abordée dans ton article mais qui me semble fondamentale dans le développement des applications civiles est l'arrêt du cryptage du signal GPS décidée par Bill Clinton et mise en oeuvre en mai 2000. Jusqu'au 2 mai 2000, le signal de base des GPS ne permettait qu'une précision de l'odre de 100 mètres. Très insuffusant pour une géolocalisation intéressante. Pour améliorer la précision, il fallait faire du GPS différentiel, c'est-à-dire utiliser un GPS statique dont on connaissait la position avec précision, et un autre GPS dont on corrigeait les données (souvent a posteriori). Les appareils étaient coûteux et nécessitaient des logiciels particuliers. L'arrêt du cryptage a tout chnagé et a permis l'essor des applications civiles.