🚙 Une Ami qui vous veut du bien
La micro-voiture de Citroën ne va pas changer le monde, mais elle nous en apprend beaucoup sur la manière dont le secteur des transports aborde l'innovation #192
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💌 Vous et moi
L’activité est dense en ce moment car nous menons en parallèle l’activité de conseil et les premiers tests utilisateurs de notre média d’apprentissage. Heureusement les renforts arrivent ! À la rentrée l’entreprise sera fort différente, tout en restant nous l’espérons dans l’esprit 15marches : une approche exigeante de l’innovation avec le soucis de transmettre au plus grand nombre et de donner envie d’aller plus loin.
C’est ce que je vais tenter de faire dans cette lettre en vous proposant de monter à bord du dernier succès médiatique en matière de mobilité : la Citroën Ami. Rassurez-vous, nous ne nous reconvertissons pas en magazine de tests automobiles. Ce qui nous intéresse comme souvent est la manière dont cet “objet” perturbe ou non l’ordre établi, et ce qu’il nous apprend sur le futur des mobilités.
PS : j’ai évidemment emprunté ce titre au film Harry, un ami qui vous veut du bien (2000).
🎯 Cette semaine
Nous avons analysé pour vous…
La micro-voiture électrique avec sa porte inversée en version partagée à Paris. Photo SSZ.
Avec ses 470 kilos et ses 7000€, l’Ami n’est pas juridiquement une voiture mais un “quadricycle à moteur”, accessible dès 14 ans sans permis B. 20 000 exemplaires vendus plus tard, la petite Citroën électrique attire l’attention de médias friands d’innovation.
Faut-il pour autant voir dans ce drôle de cube gris la révolution que l’on attendait dans la mobilité ou au contraire une énième extension du domaine de l’automobile ?
En voiture.
Ça bouge dans la niche
L’Ami a beau figurer dans la catégorie des micro-voitures on trouve sur son site internet à peu près tout ce qui manque encore à l’expérience d’achat des (vraies) automobiles.
L’internaute a la possibilité de :
· l’acheter en ligne ou dans ses magasins du quotidien (Fnac, Darty)
· se la faire livrer chez lui
· la choisir entre une version 2 places et une version “cargo” (1 place)
· la “personnaliser” (en réalité quelques stickers et accessoires à poser soi même, ce qui en soi est une très bonne idée pour réduire les coûts)
· la financer en payant un loyer équivalant au prix d’un abonnement de transport (20€ par mois).
Cerise sur le gâteau, un emplacement pour poser son smartphone est prévu sur le tableau de bord, de même qu’un kit de connexion pour appairer son engin avec la sono. Deux fonctionnalités de base qui sont pourtant encore largement absentes ou infernales à configurer dans la plupart des véhicules que je loue.
En continuant mon tour d’exploration, j’ai trouvé cependant d’autres éléments intéressants sur la conception de la voiturette :
La citadine présente une symétrie centrale entre ses côtés droit et gauche. Afin de réduire les coûts de production des pièces de carrosseries, celles-ci sont les mêmes sur chaque profil, de même que le bouclier avant est identique au bouclier arrière. Ainsi elle bénéficie de portes à ouvertures contraires, classique pour le passager et antagoniste pour le conducteur. (Wikipedia)
Vue du concept car qui a donné naissance à l’Ami
Pas de quoi baisser le coût au point de choisir de la fabriquer en France malheureusement. Idem pour le nom, Ami, qui surfe sur la mode des marques historiques remises au goût du jour : DS, Mini, 500,...
Chassez le naturel...
Disruption or not disruption ?
Non seulement l’Ami est légère, lente et “cheap”, mais son expérience d’achat rompt avec la tradition. Citroën est-il enfin en train d’essayer de changer quelque chose ?
À lire : Pourquoi votre produit est une bonne solution au mauvais problème
Le schéma ci-dessus illustre le principe de disruption exposé par Clayton Christensen dans son célèbre Dilemme de l’Innovateur. Une innovation de rupture consiste à proposer une technologie suffisante pour satisfaire les exigences les plus basiques : aller d’un point à un autre sans effort sur de faibles distances, à une ou deux personnes, soit une grosse moitié des trajets effectués aujourd’hui en voiture. Pas besoin de faire 0 à 100 en 6 secondes. Pas besoin de canapé en cuir chez le concessionnaire.
Ensuite, avec le temps, la technologie s’améliore pour couvrir des besoins de plus en plus élevés. Le smartphone est l’un des meilleurs exemples de technologie de rupture, passé de “mauvais appareil photo et petite liseuse” à ordinateur personnel et caméra permettant de tourner des films.
Alors, Citroën a-t-elle cherché à se disrupter elle-même, en prévision de l’évolution des coûts de possession, de la réduction de la vitesse et l’exigence de sobriété ?
Et non.
En cherchant mieux, je me suis aperçu que ce n’était pas Citroën qui avait imaginé ce concept mais un cabinet de conseil, Altran (intégré depuis à Cap Gemini).
Je me disais bien qu’une marque qui lance en même temps les gros SUV DS et une micro-car n’était pas prête à se disrupter elle-même. Comme pour l’autopartage et le covoiturage, les constructeurs veillent à ne pas impliquer leurs activités core business, histoire d’être certains de ne rien apprendre au cas où cela fonctionne 🤔
Il n’empêche que malgré cela, le premier succès semble au rendez-vous. Faut-il souhaiter que ce type de véhicules se généralise ?
Un peu de légèreté dans ce monde de SUV
Souvenez-vous : il y a 3 ans, en pleine exploration du marché des trottinettes électriques, nous publions ce manifeste pour les micromobilités d’Horace Dediu :
(…) Nos machines à carbone sont conçues pour maîtriser la violence : elles sont lourdes et ont besoin d’une enveloppe en acier.
Étant ainsi armés nous sentons que nous pouvons les conduire plus vite, et plus vite nous allons plus lourdes deviennent nos machines. Plus lourdes elles deviennent plus dangereuses elles sont et plus nous avons besoin de les renforcer.
Si vous n’avez pas besoin de combustion pour bouger vous n’avez pas besoin d’armure.
Micromobilité est un grand mot pour une petite idée. L’idée est petite car elle représente de petites machines. Machines qui ont la taille suffisante pour la tâche à exécuter : transporter des gens. Et non la taille imposée par le mécanisme qui les fait bouger. Des machines qui sont adaptées aux humains, pas à la violente réaction interne.
Que de tels engins soient disponibles maintenant est un témoignage de notre inventivité et nous considérons que l’inventivité est notre super pouvoir. Ce manifeste est un appel pour utiliser ce super pouvoir pour nous faire mieux bouger. Mieux bouger en se déplaçant plus gaiement, en meilleur santé et plus en harmonie. En harmonie avec notre environnement et les gens qui nous entourent.
(Le texte intégral est ici : Manifeste pour les micromobilités)
Ce Manifeste est donc un manifeste pour la légèreté. Car qui dit légèreté dit sobriété. Pour rouler à 45 km/h avec 2 adultes à bord, l’Ami n’a besoin que de 6 kW (environ 8 cv) et 470 kg1. Une Zoé pour atteindre les 130 km/h nécessite une batterie dix fois plus puissante (60 kW) et un poids 3 fois plus élevé. Combien de temps avez-vous roulé à 130 le mois dernier ?
Dans son manifeste Horace Dediu fixe à 500 kg le poids maximal d’un véhicule, au-delà duquel le poids est décorrelé de celui des personnes transportées : c’était d’ailleurs celui des Jeep et autre Fiat 500.
Alors, la micro-voiture a-t-elle pour ambition de remplacer ses grandes soeurs ?
Et non.
La Foire Aux Questions sur le site nous donne un indice. On y lit que l’Ami est “plus sûre qu’un vélo”. En réalité, le marché visé par Citroën n’est pas celui de l’automobile. C’est celui du vélo. Une clientèle jeune, des trajets courts “intra-rocades” : exactement ceux qui pourraient être effectués à vélo, éventuellement en scooter.
Tout au plus la version deux places pourrait couvrir un marché oublié : le voyage à deux (adultes). Pensez aux utilisateurs de trottinettes électriques, que l’on voit glisser tels des centaures bicéphales sur les pistes cyclables (et le code de la route). Ils inventent clairement de nouveaux usages.
Mais le succès de notre Ami ne semble pas dû à cette quête du plaisir de voyager à deux. Plutôt à la peur de voir les ados faire de mauvaises rencontres. Les parents de leurs conductrices et conducteurs semblent avoir juste abandonné l’idée que leurs enfants pouvaient se déplacer dans un mode “ouvert” : vélo, marche ou transport public.
En cela, la micro-voiture serait un cheval de Troie de l’automobile dans un domaine jusqu’alors préservé : l’adolescence. Et elle prospérerait sur les ruines du “monde d’avant” : celui où les jeunes prenaient le bus et marchaient.
Aixam pour bobos ou Mini pour ados ?
En l’absence d’enquêtes approfondies, nous sommes réduits à commenter les articles de presse. Les utilisateurs seraient de jeunes lycéens qui iraient dans leurs établissements en Ami.
On peut bien entendu critiquer cette attitude, totalement à rebours des recommandations sanitaires et environnementales. Mais cela devrait quand même nous interroger sur l’attractivité de l’offre de transport alternative proposée. Les “choix modaux” ne sont manifestement pas qu’une question de conscience environnementale.
Nous avions déjà à plusieurs reprises souligné la quasi-disparition de la marche à pied pour les femmes la nuit. Près de 100% des voyageuses interrogées affirment avoir été importunées au moins une fois dans les transports. Les deux-roues souffrent encore du manque d’infrastructures sécurisées. Et ne parlons pas des deux-roues motorisés qui représentent un fort risque d’accident, surtout hors agglomération.
La stigmatisation d’une “jeunesse dorée” qui peut se permettre de ne pas se déplacer à vélo ou en bus est légitime, mais elle nous interroge encore une fois sur la réalité de l’attractivité des autres offres de déplacement : les jeunes qui n’ont pas les moyens de s’offrir une Ami y renoncent-ils par manque d’argent ou par amour du bus ? Comment faire désirer le bus, et remettre les gens à la marche à pied ?
Même questionnement hors des villes : un véhicule comme l’Ami ne serait-il pas un compromis intéressant entre le vélo et la voiture pour des trajets de 20 ou 30 km ? Après tout, la vitesse est limitée, mais le temps de parcours est-il si différent de celui d’un trajet en autocar ? Qu’est-ce qu’un quart d’heure de plus, si on peut écouter sa playlist à l’abri des intempéries ? Si l’on a 80 ans ? Peut-on changer l’image peu flatteuse des “véhicules sans permis” à la campagne ?
Dans les débats sur la mobilité, on passe souvent rapidement du SUV au vélo sans penser à des modes intermédiaires. Nous l’avons déjà vu pour la trottinette électrique, considérée avec mépris comme un jouet et dont le succès - 900 000 unités vendues - ne peut être démenti. Il y a encore manifestement de la place pour de nouveaux engins.
La mobilité n’a peut-être pas besoin de cette Ami là, mais le petit cube gris a sans doute plus de choses à nous apprendre que ses grandes soeurs.
À suivre…
🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec le sujet traité cette semaine.
Le Manifeste pour les micromobilités d’Horace Dediu, traduit par nos soins.
Sur la disruption et l’inadéquation produit/marché. Pourquoi votre produit est une bonne solution au mauvais problème - 15marches
Je ne pensais jamais un jour partager un article d’Autoplus mais ça y est, c’est fait. La Citroën Ami bat des records de vente - Autoplus
La conception de la micro-voiture a été sous-traitée à un cabinet de conseil Altran sélectionné par le Groupe PSA pour une nouvelle solution de mobilité électrique urbaine
Si vous n’aviez pas envie d’acheter l’Ami, cet article vous convaincra au moins d’attendre un peu (ou de la garer à l’abri). Citroën Ami (2021). Premier bilan fiabilité après un an de carrière
Si vous préférez le modèle Ami original des années 60 fabriquée à Rennes, avec sa lunette arrière inversée. Citroën Ami - Wikipedia
🤩 On a aimé
Nos trouvailles de la semaine, en vrac et sans détour
Vous êtes vous déjà demandé comment les poissons voyaient le monde ? La carte du monde du point de vue des poissons - Twitter
Et les grenouilles ? Je ne vous ai pas encore parler de Dall-E, ce service encore expérimental qui créé des images originales à partir de textes complexes ? Ici, la demande porte sur “Kermit la Grenouille dans Blade Runner”. Forcément ensuite tout le monde a demandé des films différents (j’aime beaucoup le Grand Budapest Hotel) - à dérouler 🐸
Vous avez sans doute noté que récemment la newsletter de Noémie parlait de dé-marketing pour les vacances du futur. Notre complice Émile Hooge fait une analyse passionnante de ce concept « Il faut soumettre le marketing à un véritable débat démocratique »
Voyage toujours : l’excellente lettre TNMT propose une nouvelle classification des catégories de voyages. Le graphique sur le post pandemic overview est très inspirant ! Blurred Travel: Redefining classic travel categories
Bon ok, c’est un peu plus pointu mais ce blogueur a cartographié en 3D les stations de métro et RER de 22 villes européennes. Pour aller au fond du sujet. Estacions
Et pour finir en beauté, la nouvelle série de podcasts de nos amis bruxellois - Mobcast, le podcast Mobilité
C’est fini pour aujourd’hui.
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Et n’oubliez pas la seconde newsletter de 15marches, Futur(s) :
👩🏻🚀 Tous les jeudis, Noémie raconte les futurs possibles en fiction.
Pour ma part je vous dis : à mardi prochain !
Stéphane
Je suis Stéphane Schultz, de 15marches. Le jour je suis consultant, je prends des trains à travers les plaines. La nuit je lis et j’écris cette lettre.
Des lecteurs avisés me signalent dans l’oreillette que je mélange kW, kWh, autonomie, poids et puissance. J’en conviens mais ne parviens pas pour autant à trouver la bonne unité de comparaison entre deux “motorisations”. Si vous avez des idées : newsletter@15marches.fr Merci d’avance !
Quelle déception ! Moi qui pensais naïvement que l'Ami pouvait remplacer les moteurs thermiques pour les trajets intra muros, c'est assez désolant cet usage pour lycéens aisés.
Et merci pour la question ultra pertinente sur la désirabilité des transports doux et en commun, surtout pour les femmes.