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💌 Vous et moi
Alors que nous entamons le troisième hiver de cette pandémie, je me suis intéressé cette semaine à l’évolution des formes de sociabilisation1. Comme pour d’autres sujets, les contraintes sanitaires ont bouleversé nos manières de nous saluer, nous rencontrer et partager des moments. Mais elles ont aussi révélé d’autres tendances plus anciennes et plus profondes.
De Blablacar au bar PMU du coin, tour d’horizon de nos nouvelles manières de vivre en société.
Photo : Priscilla Du Preez via Unsplash
🎯 Cette semaine
Un sujet qui nous a marqué
Aller vers les autres, se saluer et se parler…ces comportements sont aussi vieux que notre civilisation. De tout temps aussi, on a cherché à influencer nos relations interpersonnelles. Pensez simplement au volume musical dans les boîtes de nuit ou dans les soirées : en vous obligeant à parler très près de votre interlocuteur/ice, on vous aide à casser la glace. Pareil pour les buffets dans les évènements : quoi de mieux que de jouer des coudes pour échanger un regard, quelques mots, et débuter une conversation ?
Oui mais voilà, le COVID et sa “distanciation sociale” - en réalité, une distanciation physique - est passé par là. En codifiant ce qui est permis ou non, le virus à couronne a pas mal chamboulé nos habitudes.
No handshake, please
Qui se souvient de la poignée de main ? Et de la bise au boulot ?
Ces gestes si courants sont devenus tabous. La peur a changé de camp : il est désormais devenu intrusif de chercher à embrasser quelqu’un qu’on connaît à peine alors qu’avant, il semblait difficile de le refuser. On se contente d’un petit “check” du poing ou du coude, ou d’un regard un peu plus appuyé.
Et si ces gestes jugés ailleurs comme intimes n’avaient pas tout simplement repris leur juste place ? Je ne compte plus le nombre de personnes qui m’ont avoué être trop heureuses d’avoir arrêté cette pratique. “On est content de ne plus s’embrasser au bureau, mais ravi de le faire entre proches”.
La poignée de main devrait elle disparaître, à la fois trop impersonnelle et pas assez hygiénique. Avec la fin du masque, le retour du sourire facilitera sans doute cette transition vers des gestes sociaux “sans contact”.
En attendant, la reprise du travail et des évènements en présentiel a nécessité d’accessoiriser nos habitudes sociales. On a vu apparaître des bracelets de couleur pour indiquer combien on se sentait soi-même prêt à céder de distance sociale. Rouge : gardez vos distances. Jaune : on peut s’approcher, mais pas se toucher. Vert : allez, on s’embrasse !
Photos : Redline studio
J’aime assez ce concept, car il confie aux gens eux-mêmes le soin d’indiquer explicitement leur état d’esprit (ou de santé) du moment. Je repense aux formations de management au cours desquelles j’avais découvert à quel point j’avais pu être intrusif avec des collègues introvertis sans m’en rendre compte (depuis, j’ai été condamné à deux ans de télétravail forcé dans mon grenier, bien fait pour moi). Je repense également à mes camarades de bureau qui indiquaient tous les matins lors de leur réunion de scrum dans quel état émotionnel ils se trouvaient, à l’aide de petits avatars de couleur. Simple et efficace.
Et pour les lieux traditionnels de sociabilisation ?
La table du bar où l’on éclusait des verres d’alcool en face à face a-t-elle du plomb dans l’aile ? Écoutons le brand strategist Alex Morris (liens plus bas) : « si on veut avoir une conversation sérieuse avec quelqu’un d’autre, le meilleur moyen est de s’asseoir [côte à côte] au bar ou dans une voiture, parce que c’est plus simple de s’ouvrir quand on n’est pas face à face ».
Parler en regardant la même chose ou en faisant la même chose : cela explique sans doute la recrudescence des “accessoires sociaux” (social devices built in) que l’on trouve désormais dans les cafés, les zoos ou encore les évènements : des jeux et des activités socio-ludiques dont le rôle affiché est de vous faire passer un bon moment ensemble. On est passé en quelque sorte de « un bar dans le bowling » à « un bowling dans le bar ».
Tout ce qui est ancien est nouveau à nouveau : il y avait déjà des billards, flippers, fléchettes,… dans le troquet de nos (grands-) parents. On y allait pour se rencontrer, mais aussi pour jouer. Le revival des lieux authentiques chers à Jean-Laurent Cassely s’inspire évidemment de ces usages du passé. Et que dire du bon vieux baby-foot dans les startups ?
Dans la même veine, des “bars à jeux” permettent de boire un verre tout en jouant, ou le contraire. Que vous soyez seul ou entre collègues, pour un rendez-vous galant ou entre amis. Là aussi revient le même argument : faire des choses ensemble, cela permet d’une part de casser la timidité pour les plus introvertis, et d’autre part découvrir la personnalité de l’autre ou des autres. Honnête, tricheur, pointilleux ou distrait,…le jeu est une excellent medium pour découvrir de manière non intrusive la personnalité de son prochain.
Ajoutez à cela un nombre de plus en plus grand de personnes qui refusent de boire de l’alcool, et plus globalement qui remettent en cause des us et coutumes de la “masculinité exacerbée” : il y a forcément d’autres moyens de rencontrer de nouvelles personnes que de boire des bières dans un bar bruyant non ?
Faut-il aller jusqu’à créer des “parcs à homme” (Man Park) sur le modèle des parcs à chiens, comme le suggérait non sans malice une émission de télé grand public (voir liens plus bas) ? Sans doute pas 😂 .
La question reste intéressante : comment les hommes font-ils pour rencontrer d’autres hommes dans le seul but de créer des liens d’amitié en 2022 ?
Covoiturer, c’est regarder dans la même direction
Allusion à la célèbre phrase d’Antoine de St-Exupéry - “s’aimer, c’est regarder dans la même direction” - le covoiturage n’est pas juste un excellent moyen de se déplacer, c’est aussi un moyen de rencontrer des gens et, souvent, avoir des conversations profondes. Alex Morris cité plus haut l’indiquait : ce qui encourage les gens à se confier, « c’est moins le fait de se faire face que d’avoir le même point focal ».
Et vous, avec qui souhaiteriez-vous partager votre prochain trajet ?
Regarder la route défiler, savourer le temps suspendu le temps d’un trajet,…tout cela incite au lâcher prise et à l’échange. Dans une étude approfondie sur le sujet (voir lien plus bas), Blablacar révèle que 87% des covoitureurs déclarent avoir des échanges enrichissants durant leur trajet.
Le simple fait de partager un trajet créé du lien. La plateforme vous encourage à compléter un profil, vous présenter, indiquer vos préférences, quel niveau de “blabla” (conversation) vous souhaitez. Même les notations favorisent une meilleure conduite. Un bel exemple de sociabilisation augmentée, qui a fait le succès de l’appli française dans le monde.
Mais cela va plus loin : pour partager un trajet, de nombreux échanges préalables sont nécessaires, qui sont autant de petits efforts et coopérations. L’endroit où l’on se retrouve, l’itinéraire, la température, la musique, le temps de pause, la taille des bagages,... Ce qui pourrait être vécu comme une contrainte est en réalité ce qui pousse les gens à se faire confiance ensuite.
Ces “petits arrangements entre covoitureurs” jouent un rôle essentiel dans la qualité des conversations qu’ils auront une fois à bord. Comparez un trajet Blablacar avec un trajet en VTC ou en taxi : même véhicule, expériences radicalement opposées.
On retrouve ici les vertus des jeux déjà évoqués pour les bars. Ces petites actions coordonnées permettent, de manière non intrusive, de mieux se connaître, de voir comment nous collaborons, comment nous regardons dans la même direction.
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Alors que nos relations en ligne sont de plus en plus “assistées”, je suis convaincu que nos relations sociales dans la vraie vie devront elles aussi être outillées pour favoriser les interactions positives et éviter les désagréments. Designers, psychologues, ingénieurs sociaux,…ne remplaceront pas les architectes et urbanistes, mais ils vont certainement trouver leur juste place dans ce monde post-COVID.
N’hésitez pas vous aussi à partager vos expériences de “nouvelles formes de sociabilités” au travail, en famille ou loisirs en commentaire ou en répondant à cet email.
🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec le sujet traité cette semaine.
Le bisou, ce moyen de socialisation bien de chez nous, ne sera plus jamais comme avant. Après le Covid-19, s’embrasser ou pas, un dilemme français (€)
L’interview d’Alex Morris sur les nouveaux “gestes” pour sociabiliser : Assisted Socializing - Zine newsletter
L’étude Blablacar-Le Bipe sur les impacts sociaux du covoiturage. Bringing People Closer - Study on the Social Impacts of Carpooling
Une étude précédente présentait le D.R.E.A.M.S. framework, un ensemble de fonctionnalités et règles qui incitent à la confiance. In Trust we Trust
Le jeu comme moyen de sociabiliser dans les bars, seul ou entre amis. Rendez-vous galant, sociabilisation… Le jeu de société a la cote auprès des trentenaires
La vidéo sur les “parcs à hommes” : Man Park, SNL. Vidéo sur Facebook (désolé, impossible de la trouver ailleurs que sur FB).
Des exemples de bracelets proposés en trois couleurs pour indiquer le niveau de “distanciation physique” souhaité. Store offers color-coded bracelets to show social distancing comfort levels
Moi non plus je ne savais pas ce qu’était la méthode scrum. Scrum - Wikipedia
Si vous cherchez à comprendre ce qu’est l’ingénierie sociale, je vous recommande de suivre mon ami Nathan Stern qui en a fait brillamment son métier. Nathan Stern
Qui dit bowling et bar dit cette vidéo incroyable filmée par un drone à l’intérieur d’un bowling. On y voit bien des gens se parler en regardant dans la même direction… One-take drone video of Minnesota bowling alley goes viral
La socialisation augmentée, c’est aussi dans l’entreprise. Si vous avez lu la newsletter de Noémie la semaine dernière, vous avez certainement noté que 2 des métiers de 2022 avaient justement pour objectif de faciliter les échanges et rencontres entre salariés. Futur(s) : les métiers de 2022.
Chez 15marches nous aidons aussi les entreprises à construire des liens de confiance avec leurs utilisateurs et animer des communautés d’intérêt.
🤩 On a aimé
Nos trouvailles de la semaine, en vrac
On l’appelle “la mère de toutes les démos”. C’était il y a 53 ans. Le 9 décembre 1968, Douglas Engelbart, ingénieur américain, présentait en réunion ses dernières trouvailles : la vidéo-conférence, la souris informatique, les liens hypertextes et le traitement de texte. The Mother of All Demos (YouTube)
Vous ne connaissiez pas Douglas Engelbart ? Pas grave : plongez vous dans Cultures Numériques de Dominique Cardon. Un puit de connaissances très claires et pédagogiques sur la révolution numérique. Cultures Numériques
Si vous saviez déjà tout sur le numérique, cet article sur les NFT vous permettra de rester à la page. NFT, évolution technologique ou révolution systémique pour l’industrie des médias et du divertissement ?
Et enfin si vous passez à Paris, dépêchez-vous d’aller voir la Ville Rêvée des Enfants au Couvent des Récollets à deux pas de la Gare de l’Est La ville rêvée des enfants s’expose en miniature dans un ancien couvent
Pour ma part je ne la verrai pas, étant comme beaucoup en quarantaine (au moins ça me rajeunit 😊).
On se retrouve la semaine prochaine, pour une dernière édition avant les fêtes.
D’ici là, si vous avez appréciez cette lettre, partagez-là pour pouvoir en parler avec vos proches en regardant dans la même direction !
Et n’oubliez pas la seconde newsletter de 15marches, Futur(s) :
👩🏻🚀 Tous les jeudis, Noémie raconte les futurs possibles en fiction.
Stéphane
J’ai utilisé le terme de “sociabilisation” en traduction de “socializing” car celui de “socialisation” ne me convenait pas parfaitement. J’entends ici les différentes manières de rencontrer de nouvelles personnes et de développer des relations avec celles que nous connaissons déjà.
Une lectrice avisée me transmet cette carte qui recense les cafés ludiques de tout le territoire. Il faut croire qu'il y a aussi un jeu entre eux pour trouver le meilleur nom ;-) https://www.google.com/maps/d/u/0/viewer?mid=1AC5-bmoXb1P4Kv9n2utACYn8b83G6WGj&ll=46.708827368479795%2C4.277298953848918&z=7