Dérèglement climatique : les technologies sont-elles le problème ou la solution ?
Cette semaine nous avons lu le livre de Bill Gates sur le dérèglement climatique. Entre techno-optimisme et socio-pessimisme, notre coeur balance...Newsletter #145
15marches est une agence de conseil en innovation. Explorez nos missions et références ici : 15marches.
Si vous découvrez cette lettre aujourd'hui, abonnez-vous pour ne pas manquer les prochaines.
Vous pouvez aussi la partager par mail pour aider d’autres personnes à la découvrir.
💌 Vous et moi
En préparant cette édition, je réalise à quel point écrire sur le sujet du dérèglement climatique m’apparaît comme un chemin semé d’embûches, tant il reste en France controversé. Le diagnostic n’est pas en lui même contesté : hormis quelques bas du front, peu d’acteurs osent remettre en cause la trajectoire dramatique que nous empruntons depuis les Trente Glorieuses.
Mais le consensus s’arrête là.
Dès qu’il s’agit de proposer, et même parfois de simplement débattre des moyens d’agir, les discussions tournent rapidement à “cherchons les coupables” plutôt que “cherchons les solutions”. Après avoir beaucoup lu d’essais et analyses il y a 5 ans, j’avoue avoir levé le pied tant le pessimisme, les guéguerres d’experts et la récupération tous azimuts prévalait.
Est-ce la langueur du confinement ou l’émerveillement devant la performance des startups BioTech sur les vaccins ? J’ai replongé en lisant le livre de Bill Gates : How to avoid a climate disaster (comment éviter un…). Si le parti-pris très “techno-optimiste-américain” du milliardaire en agacera certains, il nous apprend beaucoup sur notre propre manière d’aborder le sujet. Je vous livre plus bas quelques réflexions que nous pourrons prolonger en commentaire ou par retour de mail si vous le souhaitez.
Sur le sujet des plateformes, nous verrons également comment Amazon veut concurrencer un Doctolib qui affiche une croissance impressionnante, et comment des entreprises profitent d’Amazon pour créer des marques. La rubrique “on a aimé” est particulièrement animée enfin, entre Islande, Japon et Paris confiné. Nous terminerons par de nouvelles recommandations d’infolettres dont vous me direz des nouvelles.
Bonne lecture, n’oubliez pas de partagez si vous appréciez ! Avec les newsletters, le réseau social c’est vous.
Stéphane
🎯 Cette semaine
Bill Gates a un plan pour sauver le monde.
Depuis 20 ans celui qui se présente comme “technologiste et investisseur” dédie sa fortune à des actions humanitaires et des investissements dans les technologies de rupture. Le climat n’était pas sa priorité. Le livre commence même par une auto-critique où il confesse ses déplacements en jet privé : “le monde ne manque pas de riches types avec des opinions”. Mais ne nous y trompons pas : en 2010 déjà le magnat de Seattle développait son plan pour contrer les effets du dérèglement climatique. Son inévitable conférence Ted est ici : Innovating to Zero. Son parti pris était déjà le même : le problème n’est pas dans les modes de vie et les choix de politiques économiques. Le problème est de ne pas innover pour trouver les breakthrough technologies, ces découvertes scientifiques qui deviendront solutions techniques et seront adoptées par les industriels et les particuliers. Exemple : les géants de l’énergie consacrent à peine 5% de leurs revenus à la R&D.
Une histoire de zéros.
Quelles sont les technologies dont parlent Gates ? Celles qui permettent de réduire le surcoût du “0 émission” (green premium) à 0. J’explique : aujourd’hui, l’ensemble de nos activités émettent 51 milliards de tonnes équivalent CO2. 1 milliard par semaine. Ce chiffre est amené à grimper dans les prochaines décennies si l’on ne fait rien, avec l’augmentation de la population et du niveau de vie. Or l’objectif est de les réduire à 0 en 2050. Sinon c’est la cata. Et pour les réduire à 0, il faut réduire un autre facteur à 0 : le surcoût des technologies propres (énergies, mais aussi procédés de fabrication, matériaux, distribution,…). Le green premium. Si elles sont au même prix ou moins cher que celles qui émettent du CO2, leur usage deviendra incontournable.
Désormais convaincu que le dérèglement climatique allait toucher en premier les populations les plus pauvres, Bill Gates a ainsi passé les dernières années à lire des études et rencontrer les meilleurs spécialistes de l’énergie, des technologies et du climat. Et il a écrit. Un livre pour examiner activité par activité quel est le surcoût (en $) d’une neutralité en carbone, et comment investir pour le réduire à 0 d’ici à 2050. Ce surcoût peut être négatif par exemple pour certains modes de chauffage (une pompe à chaleur coûte moins cher qu’une chaudière au gaz et elle utilise de l’électricité qui devrait tendre vers le 0 carbone). Mais le plus souvent le (sur)coût de ces technologies est dissuasif.
Le livre détaille ainsi pour les 5 grandes activités l’état de l’art et les perspectives de réduire ce green premium : quelles sont les technologies existantes qui permettraient de réduire à 0 ces émissions d’ici à 2050 ? Combien coûtent-elles ? Quelles étapes doivent-elle encore franchir pour réduire leur surcoût par rapport aux énergies carbonées à 0 ?
Les 5 familles d’activités sont les suivantes : comment nous nous branchons (production, stockage et distribution d’énergies), comment nous fabriquons les choses (acier, ciment, plastique, industrie), comment nous faisons pousser/grandir (agriculture, agro-alimentaire), comment nous nous déplaçons (transports, infrastructures) et comment nous restons au chaud et au frais (chauffage et climatisation). Ces activités sont classées par ordre décroissant des émissions.
À l’instar de notre “Janco” national, Bill insiste sur les ordres de grandeur. Rien ne sert de s’épuiser sur quelques actions locales à faible impact alors que d’autres présentent des potentiels de réduction d’émissions de facteurs 10 ou 100. Il encourage les décideurs à poser deux questions avant de faire des choix : “Quel est le pourcentage de 51 milliards de tonnes d’équivalent CO2 que votre mesure envisage de réduire ? En quoi cette découverte permet d’atteindre cet objectif au plus tard en 2050 ?” Ainsi, il ne faut pas se précipiter sur des investissements qui permettraient de réduire un peu les émissions à plus court terme, par exemple d’ici 2030, si ceux-ci ne permettront pas d’atteindre le 0 en 2050. Le temps politique n’est pas le temps scientifique, nous sommes prévenus.
Go to Zero or Go Home !
S’en suit une analyse bien documentée sur l’état des innovations dans les différents secteurs que je vous épargnerai ici. Sachez simplement que le béton c’est vraiment pas terrible et que l’impact des pets de vaches sur le climat devrait vous dégoûter de votre prochain burger.
Photo @fifernando pour Unsplash
Gates affiche une vision très “pragmatique” des technologies : si elles permettent d’atteindre le 0, utilisons-les. Les OGM ? Bien entendu, puisqu’ils permettent de protéger les récoltes des agriculteurs les plus fragiles. Le nucléaire ? Évident aussi, et l’auteur ne cache pas ses investissements de longue date dans la fusion nucléaire.
À ce stade, plus de la moitié des lecteurs européens auront sans doute refermé le livre en soupirant. Pourtant, Gates n’affirme pas comme certains que les énergies renouvelables seraient une perte de temps et d’argent. Il analyse froidement leur performance, leur potentiel et leurs limites. Puis calcule : est-ce qu’on va arriver à 0 en 2050 sans surcoût déraisonnable ? Toujours en cherchant à maintenir le niveau et le mode de vie antérieurs. Pas question de supprimer l’avion. Puisque les avions électriques n’atteindront jamais la performance requise, travaillons sur des bio-fuels ou des électro-fuels.
Ce n’est pas la seule raison à mon avis pour laquelle ce livre sera sans doute mal accueilli en France. Il n’est pas assez politique. Bill Gates le dit clairement : “je pense plus comme un ingénieur que comme un politologue, et je n’ai pas de solutions pour les politiques de changement climatique. À la place, je voudrais concentrer la conversation sur ce qui est nécessaire pour atteindre le 0 (…) déployer les énergies propres que nous avons déjà, en inventer de nouvelles, pour arrêter d’ajouter de nouveaux gaz à effet de serre dans l’atmosphère”. L’auteur est également un fervent avocat du marché pour diffuser les innovations. Alors que le “monde d’après” n’est jamais envisagé chez nous sans remettre en cause les modes de consommation et les modèles économiques de croissance, rien de tel chez l’Américain. Et si on ne parvient pas à réduire toutes les émissions, captons-les pour les stocker. L’important est de conserver le même mode de vie et aider ceux qui y aspire à y parvenir. Business first.
Les États sont pourtant bien invités à investir massivement et de manière coordonnées dans ces innovations et à réformer des réglementations qui pourraient leur barrer la route. Créons ces technologies, et elles seront adoptées par le plus grand nombre, ce qui forcera les entreprises à les développer et les améliorer. Lire Gates encenser le rôle des États prête à sourire. On retrouve ici la vision libertaire d’un État qui devrait forcément avoir une vision à long terme en assumant les risques de la R&D en lieu et place des entreprises. Ces mêmes entreprises qu’il est interdit de taxer ou de contraindre par des réglementations trop lourdes. Lire notre article sur la vision assez proche de Peter Thiel, un autre milliardaire avec des opinions. Êtes-vous prêt(e)s à confier votre futur aux startups ? Le monde selon Peter Thiel. À sa décharge, Bill Gates consacre plusieurs chapitres au rôle des collectivités et appelle de ses voeux une réforme de la fiscalité pour alourdir le coût du carbone. Message transmis aux Gilets Jaunes.
Ce qui surprendra le plus nos concitoyens je pense est ailleurs : “rien ne sert de dire aux gens de ne plus manger de burger, mieux vaut se concentrer sur la production de viande 0 carbone”. Gates ne croît pas au changement de comportement, surtout s’il est contraint et forcé. Interrogé récemment sur l’impact que pouvaient avoir les manifestations d’Extinction Rebellion, il répondit : “peut-être que bloqué dans les embouteillages il y aura dans une voiture un chercheur avec un crayon et un papier qui en profitera pour trouver une innovation de rupture”. Period.
Et c’est là où paradoxalement j’ai retrouvé mon optimisme. Si l’on associait à cette vision techno-optimiste une capacité à faire changer les comportements, les effets seraient encore plus puissants ! Manger de la viande 0 carbone mais en manger moins. Construire des immeubles en béton 0 carbone mais mieux localisés et utilisés plus intensivement (lire l’excellent Manifeste pour un Urbanisme Circulaire de notre Bill Gates nantais Sylvain Grisot). Ou des immeubles qui ne nécessitent que le minimum de technologies. Des véhicules sans émission mais aussi plus légers, mieux partagés et roulant à vitesse adaptée pour ne pas pénaliser les autres utilisateurs. Des pesticides sans énergies fossiles mais dosés au gramme près et ajoutés au bon moment. Etc,…La pandémie du COVID-19 nous montre en ce moment même que la conjonction des technologies et d’actions publiques coordonnées peut résoudre des problèmes complexes.
La difficulté est que le monde semble se diviser entre ceux qui croient que le changement de comportement (et de modèle de croissance) est la solution et la technologie le problème, et ceux qui pensent le contraire. Pas sûr du tout que le livre de Bill Gates réconcilie ces deux camps.
Mais pour celles et ceux qui pensent qu’associer le meilleur des deux mondes - sciences “dures” et sciences comportementales - ouvre des perspectives encourageantes, ce livre apportera une partie de la solution.
Au plaisir de lire vos réactions.
🧐 Et aussi
Rien n’arrête Amazon. L’autre géant de Seattle ne cache pas son appétit pour le secteur de la santé. Après avoir testé sans succès une assurance santé, l’entreprise développe un service mettant en relation les salariés avec les pharmaciens, médecins et infirmiers. Ça ne vous rappelle rien ? Amazon veut devenir le Doctolib américain
Mais si : Doctolib. La startup qui monte de ce côté-ci de l’Atlantique. Son fondateur revendique 45 millions de Français ayant déjà utilisé sa plateforme, et 140 000 praticiens. La téléconsultation est en plein boom avec le confinement : 1 million de consultations, 100 fois plus qu’avant. J’ai beau chercher, je n’ai pas souvenir d’une telle croissance dans un secteur aussi complexe que celui de la santé. Un bel exemple de ce que permettent les technologies pour résoudre un problème. Comment Doctolib a-t-il traversé la crise du Covid ?
Pour finir sur les plateformes, un très bon article sur la croissance des agrégateurs de marques sur Amazon. Quand la plateforme devient elle-même un marché où se font et se défont des fortunes. Grouper, dégrouper. The Great Amazon Flip-a-Thon
🤩 On a aimé
À peine mis en place, le confinement à Paris rend déjà fou certains cyclistes : en témoigne cet itinéraire de 38 kilomètres dans Paris. Qui dit mieux ? Tour de France - Strava.
Envie de contempler un volcan érupter en direct grâce à cette webcam islandaise ? Beint vefstreymi frá eldstöðvunum
Si vous voulez voir le volcan de plus près faites un tour en drone c’est encore mieux : Anthony Quintano Photography
Quelle heure est-il au Japon ? Si vous êtes vraiment en mode contemplatif aujourd’hui, jetez un oeil à ce plan du métro tokyoïte animé en temps réel. Il y a aussi des webcams. Mais pas de volcan. MiniTokyo3D
La semaine dernière dans mes newsletters préférées je ne vous ai pas parlé de Notorious Bigre -La Vie Matérielle qui nous régale avec des perles totalement inclassables comme ce Manuel de Design de l’Union Soviétique de 1950 à 1989.
J’ai également oublié la formidable Anne-Laure Le Cunff et sa newsletter NessLab sur la créativité, la productivité et la santé mentale. Je précise que ses articles et vidéos sont basés sur de la vraie (neuro-)science. Si le fonctionnement du cerveau vous intéresse, vous ne perdrez pas votre temps.
C’est fini pour cette semaine.
Avant de partir, n'oubliez pas de mettre un petit 💙 si vous avez aimé cette édition. Vous pouvez aussi partager cette lettre pour la faire découvrir. Merci !
À la semaine prochaine.
Stéphane
Merci Stéphane pour cette lettre!
Dans la même ligne, je te conseille l'ouvrage de Michael Mann, une grande figure des sciences climatiques aux US, "The New Climate War".
Mann égratigne pas mal Gates sur son techno-solutionisme et surtout son appétence pour les solutions de géo-ingénierie dont l'efficacité (et les risques potentiels) font hautement débat.
Dans son analyse, Mann rapproche le techno-solutionisme climatique (capture et séquestration du CO2, géo-ingénierie) des stratégies utilisées par l'industrie des énergies fossiles (les "climate inactivists", as he calls them) pour ralentir, et stopper, les mesures pour réduire les émissions. En gros, puisqu'il y aura des solutions pour capturer le carbone et contrôler le climat, autant continuer à brûler du charbon et rester sur notre lancée.. Cela s'ajoute à d'autres stratégies, comme la deflection (c'est aux gens de changer leurs comportements - on reporte le problème sur la responsabilité individuelle) ou le doomism (il est trop tard pour agir - toute action est vaine) qui permettent aux industries fossiles de gagner du temps.
Cela reboucle avec ta question de départ: les technologies sont-elles la solution ou le problème? Je vais aussi essayer de me pencher sur le sujet dans ma newsletter, avec toutes les pincettes qu'il faut prendre sur un sujet aussi complexe..
A bientôt!
Un article des Echos, ce jour, sur les agrégateurs. Des infos sur leurs méthodes pour repérer, filtrer, et ensuite booster la boutique rachetée....et la distance à garder avec Amazon, qui a évidemment plus de moyens qu'eux pour repérer les bons vendeurs et créer elle-même un rayon sur le segment de produits concerné [https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/les-nouveaux-marchands-damazon-1301312]