La voiture sans partage
La voiture partagée (autopartage, VTC) a le blues. Les constructeurs abandonnent l'un après l'autre ces activités pour se concentrer sur leur métier traditionnel : quelles conclusions en tirer ?
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💌 Vous et moi
Nous continuons notre exploration des conséquences de la crise sanitaire sur les grands secteurs économiques. Cette semaine, un secteur qui pleure : la mobilité partagée, et un secteur qui rit : les outils de télétravail et téléconférence.
🎯 Cette semaine
C’était il y a à peine un an, à la rentrée 2019. J’étais invité par les équipes de Free Now, une entreprise allemande, à animer une réunion de présentation de leur nouveau service d’auto-partage.
Dans un café branché de la capitale arrivaient l’un après l’autre des journalistes de toute l’Europe, transportés à bord de la nouvelle Smart en utilisant l’application mobile créée par les hôtes de la journée. Tout était réglé comme du papier à musique dans une ambiance au beau fixe. Personne ne se doutait que quelques mois plus tard une Free Now exsangue serait en discussion pour revendre ses activités à Uber.
Free Now est la nouvelle entité issue de la fusion des activités de “nouvelles mobilités” des deux géants de l’automobile allemands : Daimler et BMW. 14 services allant de l’autopartage au VTC en passant par les parkings et les recharges électriques. Les spécialistes qui nous lisent ajouteront à ce beau tableau Here, la solution de cartographie concurrente de Google Maps, même si elle ne fait pas partie de Free Now.
Photo : Share Now on Unsplash
En créant ces services il y a une dizaine d’années, les deux constructeurs allemands voulaient apprendre de nouveaux métiers et se confronter à de nouveaux marchés. Avec le mobile, la connectivité et le cloud computing, il est désormais possible de déployer des flottes de véhicules faciles à louer, même pour quelques minutes. Voire même monétiser sa propre voiture les quelques 95% du temps où elle ne roule pas. Visionnaires, ils avaient compris que le numérique introduisait une nouvelle relation avec le conducteur-acheteur. “Nous voulons passer de 7 à 70 millions de clients” affirmait le PDG de BMW. 7 millions d’acheteurs de ses véhicules, mal connus du constructeur et très coûteux à conquérir. 70 millions étant le nombre d’utilisateurs abonnés à des solutions utilisées quotidiennement, avec un potentiel de développement de services additionnels exponentiel : guidage, recommandations, réservations, achats intégrés... Mission accomplie grâce à Free Now et ses 66 millions d’utilisateurs dans le monde entier.
Las, d’après Bloomberg Free Now, durement touchée par la crise sanitaire et la baisse du tourisme, chercherait des investisseurs extérieurs. Et Uber serait intéressé par racheter le tout pour enrichir son offre de services de nouvelles mobilités.
Uber Weighs Purchase of BMW-Daimler Ride-Hailing Venture
Quasiment tous les constructeurs qui s’étaient lancés dans l’aventure des services de mobilité remettent en cause cette stratégie. Avec la baisse de leurs ventes de voitures, difficile pour eux de justifier la conservation de services qui mobilisent à la fois CAPEX (des voitures récentes, des infrastructures de parking et de recharge) et OPEX (des agents opérationnels, des services marketing, des développeurs). Seule l’activité VTC pouvait échapper à ces contraintes, mais la concurrence débridée d’Uber a tué le jeu. Conséquences : General Motors avait fermé cette année Maven son service d’auto-partage développé avec Lyft, le concurrent d’Uber. GM shuts down car-sharing service Maven. Dernier en date Renault-Nissan, qui vient de revendre Marcel son service de VTC francilien à peine 3 ans après l’avoir acheté. Renault cède son service de VTC francilien Marcel à Ascom Invest
Marcel faisait partie d’une nouvelle entité de Renault appelée MAI pour Mobility as An Industry. Les ennuis volant en escadrille, ne soyez pas surpris si d’autres annonces surviennent prochainement dans les secteurs du transport à la demande. Le marché est vendeur.
La crise sanitaire a bon dos cependant pour justifier le retrait ou l’abandon des nouvelles mobilités. Je vous épargnerai ici des analyses trop poussées et vous renvoie au blog où nous traitons ces sujets depuis 5 ans. Mais retenez qu’au-delà des vicissitudes de ces marchés, la culture est radicalement différente entre des constructeurs qui raisonnent sur le temps long et des circuits de vente bien balisés, et des fournisseurs de services qui se livrent une bataille acharnée dans la conquête d’utilisateurs peu fidèles. Deux salles, deux ambiances.
Plus grave, derrière les discours sur le passage de la possession à l’usage des véhicules, les constructeurs n’ont jamais réellement réussi à embrasser la transformation numérique qui l’accompagnait.
Je citerai simplement deux questions que j’ai posées lors de la journée de présentation de Free Now :
· pourquoi a-t-il fallu attendre 20 ans après le lancement de la première Smart pour qu’un modèle sorte enfin de l’usine pré-équipé d’un boîtier permettant de partager le véhicule avec un smartphone ? Jusqu’à maintenant tous les véhicules sans exception doivent passer au garage pour être équipés d’un boîtier spécifique qui seul permet quelques fonctionnalités de partage limitées. Il n’y avait donc aucune synergie entre les entités qui développent des services de mobilité et ceux qui fabriquent les véhicules
· pour quelles raisons le boîtier (enfin) pré-installé ne peut-il être utilisé par d’autres solutions numériques que celles développées par Free Now ? En clair, pourquoi ne pas avoir développé une véritable plateforme de services autour de vos véhicules, à l’instar des appstores, SDK et APIs qui ont fait le succès des Apple, Google et autres Microsoft ? (Lire S’il te plaît dessine-moi une plateforme numérique).
En voulant développer des services numériques comme une verticale fermée en aval de leur métier traditionnel, les constructeurs ont cherché à se diversifier sans se transformer. Si cette stratégie a bien fonctionné pour des activités amont et aval comme le financement ou le service après-vente, l’équation est totalement différente pour des services numériques. En refusant de devenir une plateforme permettant de réserver des véhicules d’autres marques et d’être utilisé par d’autres applications, les solutions des grandes marques automobiles se sont condamnés à n’être que de petits centres de coûts à la merci de chaque changement de conjoncture.
À court terme par conséquent les constructeurs se débarrassent d’entités coûteuses et sans possibilité de croissance. À moyen et long termes ils abandonnent aux pure players du numérique l’avenir de la mobilité : les services. C’est déjà le cas pour l’entertainment et l’information à bord L'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi s'allie à Google pour installer Androïd dans ses voitures. Ce le sera maintenant pour tous les services de location de courte ou moyenne durées où le véhicule ne sera qu’une commodité mise à disposition par une plateforme (qui se soucie de la marque du véhicule quand il emprunte un taxi ?). Comme nous l’avons vu récemment, l’électrification des voitures devrait accélérer cette tendance en dépossédant les constructeurs traditionnels d’une grande partie de leur savoir-faire. Et d’autres acteurs pointent déjà leur nez. Huawei s’attaque au géant des voitures électriques.
Bref : on roulera toujours en voiture, il faudra toujours des constructeurs pour en fabriquer, mais l’essentiel de la valeur sera ailleurs : dans les services apportés à bord et dans l’intégration de ces véhicules au sein de plateformes incluant location, recharge, entretien et monétisation. La crise sanitaire n’aura fait qu’accélérer ce mouvement.
[À l’attention des lecteurs : je suis à titre personnel actionnaire et membre du conseil d’administration de Padam Mobility, un service concurrent de ceux appartement à MAI notamment].
🧐 Et aussi
Eux ont parfaitement compris comment transformer un business model. Zoom, le service de télé-conférence dont la valorisation boursière atteint des sommets intergalactiques, vient d’annoncer le lancement d’une place de marché et d’une magasin d’applications tierces. Concrètement, vous pourrez promouvoir des évènements ou créer des services qui “tourneront” sur Zoom. Comme des applications mobiles qui “tournent” sur Android ou iOS. Évolution logique…pour une entreprise numérique.
Quand le service phare de visioconférence Zoom cherche à se transformer en plateforme
Conséquence indirecte de la crise sanitaire : la multiplication des Zoom Towns, ces petites villes situées près de parcs nationaux ou de la montagne et qui voient affluer des salariés décidés à profiter du travail à distance pour quitter les grandes villes.
Zoom towns’ are exploding in the West
Grandes villes qui voient effectivement leur population les quitter avec le prolongement du confinement. Exemple à New York et San Francisco. Ben Evans sur Twitter.
Numérique et (dé)mobilité sont liés plus que jamais…
🤩 On a aimé
Le travail à distance, ok, mais comment fait-on pour créer des liens et faciliter le travail en commun ? Quelques conseils précieux à mettre en place cet automne.
4 conseils pour organiser un (bon) team building à distance
Un exemple de plus de la créativité des opérateurs de micromobilité : un test obligatoire pour voir si vous avez trop bu pour prendre le guidon. On attend (sans espoir) le même service dans les automobiles… Voi introduces world’s first reaction test for e-scooters to discourage drunk riding
La reconnaissance vocale n’en finit pas de s’améliorer. Un nouveau service de Google vous permet de reconnaître un morceau en le fredonnant. Song stuck in your head? Just hum to search
Et vous, c’est quoi le morceau que vous avez en tête aujourd’hui ?
C’est tout pour cette semaine ! Portez-vous bien.
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À la semaine prochaine.
Stéphane