Le transport aérien a-t-il un avenir ?
Entre COVID et crise économique, le transport aérien vit sa pire période depuis un siècle. Comment peut-il s'en sortir ? Newsletter #123
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🎯 Cette semaine
Il n’y a pas que les tempêtes qui clouent les avions au sol. Le transport aérien subit depuis le début d’année la pire récession de son histoire. La conjonction inédite d’une crise sanitaire et d’une crise économique tétanise un secteur qui sortait pourtant d’une période de croissance sans précédent. Le nombre de billets d’avions vendus avait tout simplement triplé ces 20 dernières années ! La chute est d’autant plus dure : après avoir perdu 95% de sa clientèle au printemps, l’aérien ne tourne qu’à moitié de sa capacité, et encore s’agit-il essentiellement de la Chine qui a repris presque comme avant. First out, first in.
Un très bel article du Guardian relate le quotidien de Pieter Elbers, le patron de KLM, qui a géré la crise ces 6 derniers mois. Nous vous proposons de le résumer ensemble.
Inside the airlines industry’s meltdown
Elbers dresse un tableau apocalyptique de la situation et, surtout, des perspectives du secteur. Car, contrairement à la Chine, il est fort peu probable que l’activité aérienne en Europe reprenne avant longtemps. Au-delà des centaines de milliers d’emplois en jeu, la double crise actuelle souligne la fragilité d’une activité qui n’a jamais été conçue pour ralentir, et encore moins pour s’arrêter. La construction des aéroports, la commande des avions, la réservation des slots (créneaux de circulations) se font des années à l’avance. Pire, les aéronefs n’ont tout simplement pas été prévus pour ne pas voler. Avec 2/3 de la flotte sur le tarmac, aucun aéroport n’est assez grand pour les accueillir. Au sol, ils courent des risques multiples : servir de nichoirs aux oiseaux, déformer leurs pneus, être renversés par le vent, geler, surchauffer,…Comme des malades au long cours, ils nécessitent une attention presque quotidienne et doivent faire un minimum “d’exercice” au risque de dépérir. Certains, trop gourmands comme le B747 ou l’A380, ne revoleront jamais. D’autres ne sortiront plus des “cimetières” qui les accueillent en Espagne ou en Arizona.
How Airlines Park Thousands Of Planes
Les pilotes également doivent effectuer 3 décollages et 3 atterrissages tous les 90 jours pour rester opérationnels. Les simulateurs ne désemplissent pas, mais la situation financière est insupportable pour des compagnies qui “saignent de l’argent” comme disent les Anglais. Ceux qui volent doivent eux jongler entre restrictions et situations sanitaires diverses et variées. Certains équipages préfèrent même dormir dans leur avion plutôt que se risquer dans les hôtels. Ne parlons pas des malheureux personnels au sol qui ont du gérer les millions d’annulations de vols depuis leur salon… Ambiance.
Photo Suhyeon Choi - Unsplash
Mais encore une fois tout cela serait supportable si d’autres nuages ne s’amoncelaient pas à l’horizon. L’essor formidable du transport aérien s’est construit sur trois piliers : un coût du carburant abordable, une explosion du trafic d’”affaires” et de celui des compagnies low cost. Si la crise économique maintient le premier à des bas niveaux, il semble acquis que le prix du pétrole devrait augmenter régulièrement à l’avenir, pour une raison physique très simple : il y a de moins en moins de pétrole “pas cher” à extraire depuis 2008. Ensuite, la crise économique a un revers : elle décourage les voyages d’affaires et, dans une moindre mesure, les voyages de loisirs. Ces deux segments sont de plus traversés par des vagues beaucoup plus profondes qui devraient perdurer.
Le premier est en train de réaliser qu’un rendez-vous d’affaires peut finalement très bien se dérouler sans bouger de son bureau, même si l’on est sur des fuseaux horaires différents. Et, à bien réfléchir, ces évènements à l’autre bout du monde étaient plus fatigants qu’autre chose…Or la clientèle affaires, c’est 15% des passagers pour 75% des profits. Et l’aérien entraînera l’hôtellerie et l’évènementiel dans sa chute.
Le second segment, le voyage aérien de loisirs, se prend de plein fouet la vague de la “honte de l’avion”. La démocratisation du transport aérien s’est faite à coups de billets pas cher, d’ouvertures de destinations et de ventes flash. Cette compétition par les prix était déjà difficilement soutenable en période de croissance de la demande. Elle est désormais intenable. Le “petit week-end pas cher aux Baléares” est devenu le symbole de l’égoïsme sur-carboné. Gageons que si la plupart des Américains et les Asiatiques pourront très bien s’en accommoder, les Européens risquent, eux, de changer durablement leurs comportements. Souvenons-nous des automobiles dans les années 70 et de la cigarette plus récemment.
Ajoutez à cela une hausse probable de la fiscalité et une baisse des aides versées aux low cost, et vous aurez un retour à la situation d’il y a une cinquantaine d’années : un transport aérien “produit de luxe”, réservé à une clientèle privilégiée, avec sans doute de nouveaux formats plus proches de l’aviation privée. Quel autre avenir s’offre à ce moyen de transport dont les progrès technologiques ne permettent pas d’espérer de baisse significative de l’empreinte carbone à court terme ?
Du point de vue des infrastructures, cette décrue de la demande devrait achever définitivement la politique de “hub and spokes” qui faisait de Charles de Gaulle le passage obligé des vols longs courriers et imposait à tous les voyageurs de pénibles correspondances de/vers leur destination finale. Les manifestants qui ont envahi brièvement les pistes de Roissy ce week-end ne le savaient sans doute pas, mais dans la future hiérarchie des aéroports, il est peu probable que CDG tire son épingle du jeu. Les compagnies se tournent déjà vers des vols “point à point” avec des avions plus petits et moins gourmands. La suprématie des aéroports de Paris ne sera plus qu’une réminiscence du passé.
De tous les secteurs que nous avons étudiés ces dernières semaines, le transport aérien semble celui qui aura le plus de mal à se remettre de cette crise. La situation est dramatique, car personne n’imagine fermer par exemple Roissy et ses 150 000 emplois directs et indirects. Au niveau européen, la compétition qui s’annonce ne laissera pas non plus de place pour tout le monde. Les avions voleront toujours, mais loin de nous.
Pour aller plus loin…
L’article du Guardian Inside the airlines industry’s meltdown
Le blog de Flightradar qui traite des effets de la crise sur le transport aérien. Flightradar24
🧐 Et aussi
Des rumeurs annoncent le rachat de Free Now par Uber. En rachetant les activités "nouvelles mobilités" de Daimler et BMW, Uber mettrait la main notamment sur Kapten, ex-Chauffeur Privé, le n°2 du VTC en France.
Ce mouvement appelle selon nous deux commentaires :
en voulant réglementer plus durement l'accès à la profession de VTC dans l'optique clairement avouée de pénaliser Uber (loi Thévenoud 2014), la France a en réalité pénalisé ses concurrents et au final renforcé Uber
cette cession signerait la fin de l'aventure "nouvelles mobilités" pour deux des principaux constructeurs mondiaux, BMW et Daimler. Ceci après le désengagement d'autres constructeurs comme GM avec Maven ou Ford avec Chariot.
🤩 On a aimé
L’artiste Chad Feyen a représenté tous les pictogrammes de vélos utilisés à Tokyo. très chouette. Cycleogram
Vélo toujours : les copains d’Enlarge your Paris nous présentent un guide destiné aux nouveaux cyclistes. Vous n’avez plus aucune excuse (et n’oubliez pas de vous inscrire à ma conférence) ! Les apprentis cyclistes urbains ont leur guide pratique téléchargeable gratuitement
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À la semaine prochaine.
Stéphane
Bonjour Stephane, un petit commentaire entant qu'ancien trader de petrole, si, si !
au sujet du prix du Jet, le carburant des avions a réaction, les compagnies aériennes ont pris l'habitude depuis le debut des années 90 de gerer le risque de fluctuation a moyen long terme;
l'episode COVID et la baisse des prix va mettre un (long) moment a apparaitre positivement sur leurs comptes car en ce moment, plus probablement, les compagnies doivent payer les pertes qu'elles font sur les contrats a termes qu'elles ont pris sur les marchés dérivés pour se proteger car ces contats pré datent le "choc" de la demande et sa baisse de prix (cette baisse d demande est accessoirement un autre souci car cela veut dire que les compagnies se retrouvent "longues" d'un jet papier fort cher sans contrepartie physique....; cela les empeche ir)oniquement de profiter pleinement de la baisse du "spot";
Comme toujours une newsletter passionnante et étayée. Bravi Stéphane pour maintenir ce niveau de qualité