💎 Ne me vendez pas des choses
De plus en plus de produits ou équipements sont vendus « « comme des services ». Derrière ce terme se cache une refonte complète de la chaîne de valeurs... #197
👨🚀 Tous les mardis, Stéphane décrypte l’impact de la transformation numérique sur l'économie et la société. En savoir plus sur cette lettre : À propos
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Des nouvelles de l’agence.
Cette semaine encore nous partageons nos réflexions sur le business design dans le cadre de la conception des parcours d’apprentissage qui nous occupe en ce moment.
Au programme : comprendre l’économie du service, qui permet d’accéder à des produits ou même des effets utiles avec un minimum d’investissement et d’engagement.
Chacun possède une partie de la compréhension de ces modèles qui évoluent en permanence : vos réactions et suggestions sont les bienvenues !
Vous trouverez ensuite des liens pour approfondir et une vendange de choses intéressantes et bizarres glanées sur le web.
🎯 Cette semaine
Chaque semaine un nouveau sujet décrypté. Cette semaine, le “-as a service”
Bureaux, fabrication, mobilité, cuisine, chauffage ou refroidissement : de plus en plus de biens courants et de fonctionnalités deviennent accessibles “comme un service”, c’est à dire qu’il n’est plus nécessaire de posséder un équipement, de savoir le faire fonctionner et l’entretenir pour en obtenir l’effet utile recherché.
Cette tendance est démultipliée par l’ubiquité des terminaux numériques que sont les ordinateurs, smartphones, tablettes, enceintes, caméras, montres et demain sans doute, lunettes connectées.
Surtout, ces terminaux ont eu l’intelligence de proposer très tôt des kits de développement et des magasins d’applications qui ont permis à des tiers de développer des solutions fonctionnant sur ces terminaux et à leurs utilisateurs d’en bénéficier. Ces solutions ne remplacent pas tous les appareils du quotidien, mais elles proposent des “briques” de services qui améliorent, simplifient ou complètent les fonctionnalités de ces appareils. Pensez à ce qu’était la conduite en voiture sans le GPS de votre smartphone.
“Il y a forcément une app’ pour ça” est devenu une évidence depuis une dizaine d’années, et les regards se tournent déjà vers la génération suivante de solutions : celles qui permettent à l’utilisateur de personnaliser, modifier, voire de créer lui-même sa propre solution, à l’aide de briques low code ou no code. Des services pour créer des services : une nouvelle révolution est en marche.
La crise énergétique en cours devrait provoquer dans les entreprises et administrations le même type d’accélération que celle qu’ont connu les ménages avec la crise sanitaire : en se numérisant, ces organisations vont elles aussi bénéficier d’une explosion de nouveaux services, créant une économie jusqu’alors freinée par l’absence de standards et d’équipements.
La contrepartie, car il y en a toujours une, est une dépendance grandissante aux fournisseurs de services, dont certains cumulent dangereusement les rôles de canaux, de filtres et de producteurs. There is no free lunch.
Commençons notre tour d’horizon.
Y a-t-il vraiment une différence entre produits et services ?
“Ne me vendez pas des choses” est un document interne destiné aux vendeurs chez Sears et Roebuck, le géant de la distribution américaine des années 40 (la Tour Sears à Chicago a longtemps été la plus haute du monde). Il est toujours furieusement d’actualité pour celles et ceux qui veulent en finir avec la différence entre produits et services.
En voici la traduction par votre serviteur :
“Vendez-moi des idées, de sensations, du respect et du bonheur” : Sears met en avant la fameuse valeur d’usage d’un produit, terme souvent associé à l’”économie de la fonctionnalité”. Pas besoin de posséder un bien si on peut en avoir juste l’usage nécessaire.
Le célèbre chercheur Clayton Christensen est allé plus loin en étudiant le job to be done pour lequel on “embaucherait” le produit. Appelés à conseiller une grande chaîne de restauration rapide, des consultants observent 18 heures par jour le comportement des consommateurs qui fréquentent ses magasins.
Ce que recherche l’utilisateur, c’est le job to be done, la création d’expériences complètes satisfaisant ses besoins et aspirations profondes
Extrait de notre article sur ce sujet (lien plus bas) :
Ils découvrirent qu’une grande part des milk shakes étaient “embauchés” avant 9 heures par des gens arrivés seuls dans le restaurant. C’était souvent leur seul achat. Ils ne le consommaient pas sur place et regagnaient rapidement leur voiture. Quelques questions permirent à l’équipe de comprendre la “routine” de ces clients : ils avaient un long trajet en voiture à faire, souvent ennuyeux car dans les bouchons, et ils cherchaient à le rendre moins pénible. Ils n’avaient pas vraiment faim à ce moment, mais savaient que dans quelques heures cet en-cas leur éviterait la petite faim de 11 heures du matin.
Quels étaient les produits en compétition avec ces milk shakes ? Des bananes parfois, mais elles ne tiennent pas assez au corps. Les beignets sont difficiles à manger au volant. Les bagels sont tellement secs qu’il faut étaler de la sauce dessus, ce qui est complexe quand on conduit. Des barres chocolatées ? Trop de culpabilité à manger des friandises dès le matin (et oui, nous sommes plein de contradictions). Le milk shake représente un compromis parfait : suffisamment épais pour “durer” les 20 minutes de trajet. Assez consistant pour aider à tenir jusqu’au déjeuner. Et son gobelet tient parfaitement dans le porte gobelet de la voiture, sans la moindre tâche à nettoyer.
Autre élément intéressant de cette enquête : la catégorie de clients n’avait aucune importance. Hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, riches et moins riches : ils partageaient tous les même job to be done, la tâche complexe à réaliser chaque matin. Job que l’on pourrait définir ainsi “aidez moi à rester réveillé et occupé tout en rendant mon trajet du matin plus fun”.
Lire l’article complet ici : Pourquoi votre produit est une bonne solution au mauvais problème
Pas besoin d’acheter le produit pour bénéficier de cette expérience : l’essor du “produit as a service”
Une étude récente de la CCI Paris Ile-de-France (lien plus bas) présente un panorama complet de l’évolution de plusieurs domaines vers des “modèles serviciels”, comprenez des modèles dans lesquels on n’a plus besoin d’être propriétaire d’un bien pour bénéficier de sa valeur d’usage.
L’étude recense trois grands modèles, qui correspondent également à des nouveaux modèles de monétisation :
Modèles centrés sur l’accès et la valeur ajoutée : le client n’achète pas un bien mais paie l’accès à ce bien, sous forme de location ou d’abonnement; exemple : la location longue durée des voitures, quand celle-ci s’accompagne de services additionnels
Modèles axés sur l’usage : le client paie l’usage du bien, souvent en réglant un abonnement fixe et une part variable liés à la consommation d’unités économiques; exemple : la consommation d’eau ou d’électricité.
Modèles axés sur le résultat : le client paie l’obtention d’un résultat, d’une performance prévue; exemple : un abonnement dans une chaîne d’espaces de coworking permettra de travailler, se restaurer et socialiser dans de multiples sites.
On le voit, ces classifications restent assez générales : elles ne recoupent pas exactement les notions de job to be done évoquées plus haut. Si vous envisagez de transformer votre activité vers un modèle “serviciel”, nous vous recommandons de partir de l’expérience complexe que vous souhaitez apporter à vos utilisateurs pour définir l’ensemble des services nécessaires pour l’aider à y parvenir. Dans le cas du déplacement individuel par exemple, il est très difficile de battre la possession d’un véhicule - voiture ou vélo - lorsque par exemple l’utilisateur bénéficie d’un accès efficace au stationnement. Les vélos ou voiture “as a service” devront cibler des job to be done plus restreints comme se déplacer en voyage, en complément de transports ferroviaires ou pour s’amuser. En revanche créer des services d’optimisation de sa consommation à partir d’un compteur Linky semble nettement plus simple (message de service : qu’est-ce qu’on attend ???).
Dégrouper les différentes briques d’un service
Un des éléments les plus marquants de la révolution numérique est la capacité à “dégrouper” des fonctionnalités d’un produit ou service pour en faire une activité à part entière. Vous ne comprenez rien à cette phrase ? Voici le célèbre exemple de la “pizza as a service”.
Extrait de notre article sur ce concept fumant (pas fumeux) comme une pizza :
On parle de Software as a Service lorsque l’on peut utiliser un logiciel, un système d’exploitation et une infrastructure qui ne sont pas “installés” là où vous travaillez. Cette solution s’est généralisée progressivement avec le cloud computing et la connectivité.
Le suffixe - aaS recoupe en réalité de multiples solutions selon le degré de “dégroupage” des logiciels, du matériel et de l’infrastructure. Le “dégroupage” - unbundling en anglais- est un terme qui s’applique autant aux aspects techniques, fonctionnels que stratégiques. Cela revient à séparer une activité en briques fonctionnelles et se demander celles qui pourraient être faites ailleurs, par d’autres.
🍕 Le célèbre schéma de Pizza as a Service a longtemps servi à illustrer les solutions de dégroupage de l’informatique en prenant l’exemple du dégroupage d’un repas entre amis.
Lire l’article complet : Pizza-as-a-Service dans la newsletter de 15marches
Dans le cas de la pizza, on voit bien que le “dégroupage” des différentes fonctions pour en faire une activité à part entière suppose une certaine standardisation (la taille des pizzas par exemple) et un équipement minimum (avoir des couverts, savoir manger une pizza). Pour les services moins “matériels” comme ceux qui passent par une interface numérique, ce travail a été réalisé depuis longtemps : le taux de possession en terminaux connectés est stratosphérique, et le duopole Android - iOS s’approche de la standardisation générale (mise à part la couleur des textos bien entendu).
Une concentration grandissante de services dans quelques mains
L’évolution d’Apple de la vente de terminaux + logiciels vers la vente de services est fascinante, compte tenu de la taille et du modèle économique du géant. Le schéma ci-dessous montre la part grandissant que représente la vente de services dans le chiffre d’affaires et les résultats de la firme à la pomme.
Ces revenus cumulent la vente de services “maison” comme la musique, la télé ou le cloud avec les commissions perçues sur la vente des services de tiers via l’AppStore. Plus de 825 millions d’utilisateurs paient un abonnement à au moins un service d’Apple. Ramenés à l’année entière, le business des services d’Apple s’élève à 75 milliards de dollars (oui vous avez bien lu). Pas mal pour un vendeur de téléphones…Et c’est sans compter la publicité qui est la prochaine ligne de revenus.
Cette concentration est évidemment problématique à de nombreux titres, comme en témoignent les conflits qui opposent Apple ou Google aux fournisseurs de service comme Spotify par exemple.
Quand les produits de l’entreprise deviennent des fonctionnalités pour ses utilisateurs
C’est un peu le bouton “passage à la vitesse de la lumière” du Millenium Falcon : pour fidéliser leurs utilisateurs et générer de nouveaux revenus, des entreprises leur proposent de créer eux-mêmes leurs propres services grâce à des outils et modèles pertinents. Il peut s’agir de personnalisation, de nouvelles fonctionnalités ou bien carrément de faire tourner un service complet en utilisant les infrastructures et services de l’entreprise. Concrètement les produits de l’entreprise deviennent des fonctionnalités pour ses utilisateurs.
Nous avons décrit en détail le modèle d’Amazon dans un article précédent :
Une architecture singulière a été mise en place pour servir des clients aussi différents que les acheteurs (e-commerce, services premium), les vendeurs (place de marché et marque blanche) et les développeurs (Amazon Web Services).
Chaque client, qu’il soit interne ou externe à l’entreprise, peut utiliser de manière indépendante ou combinées différentes « briques de services » : le cloud, le centre d’appel, le moteur de recherche, les entrepôts, le service de livraison,... L’ensemble forme un « empire invisible », formidable outil de conquête de l’économie par l’intérieur. De Netflix à la startup du coin, tout le monde utilise une ou plusieurs brique(s) d’Amazon pour faire tourner son activité, parfois sans même le savoir.
Lire l’article complet : Amazon, l’Empire Invisible
Dans le cas d’Amazon, il ne s’agit pas uniquement de proposer par exemple des camions de livraison as-a-service, mais l’ensemble des composantes d’une activité, du site e-commerce au service client. L’entreprise devient as-a-service.
De plus en plus d’entreprises numériques, comme Payfit ou Figma, adoptent ce modèle : elles proposent des fonctionnalités permettant aux utilisateurs de personnaliser, voire de créer de toutes pièces des services nouveaux. Cela permet à l’utilisateur lui-même une configuration extrêmement poussée, qui va jusqu’à la création de nouveaux services, par lui-même et pour lui-même.
Ce sont des services qui permettent de créer des services, le modèle ultime (?) de l’économie servicielle, celui qui transforme le service en véritable marché.
*** *** ***
L’essor des services dans l’entreprise n’en est qu’à ses débuts alors qu’elle a déjà largement pénétré la sphère privée. La crise énergétique devrait conduire, par l’équipement et la numérisation des activités les moins “tertiaires”, à accélérer cette tendance, créant de nouveaux écosystèmes. Les places seront chères, et les géants du numérique sont déjà à la manœuvre pour s’y installer.
🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec le sujet traité cette semaine.
L’étude très complète de la CCI Paris Ile-de-France : Quand les produits se transforment en service : la révolution silencieuse des modèles serviciels
L’analyse de cette étude dans Les Échos Quand tout devient service
Un article au nom bizarre pour comprendre l’évolution de l’économie du service Pizza-as-a-Service dans la newsletter de 15marches
Pour mieux comprendre le job to be done Pourquoi votre produit est une bonne solution au mauvais problème - 15marches
La phrase Le logiciel dévore le monde vient d’ici Why software is eating the world
Fin des fichiers, collaboration, communauté, réutilisation : les clés du succès de Figma, rachetée par Adobe 20 milliards de dollars. Here are the 10 reasons Figma dominated the design world
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C’est fini pour cette semaine.
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👩🏻🚀 Tous les jeudis, Noémie raconte les futurs possibles en fiction.
Pour ma part je dis à la semaine prochaine !
Stéphane
Je suis Stéphane Schultz, de 15marches. Le jour je suis consultant, je prends des trains à travers les plaines. La nuit je lis et j’écris cette lettre.