Le jour où Facebook m'a bloqué
Retour sur le bras de fer entre la plateforme et les médias australiens. Un avant-goût des prochains conflits qui attendent les acteurs qui ont raté leur transformation numérique. Newsletter #141
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💌 Vous et moi
Quand Facebook fâché, lui toujours faire ainsi… Facebook bloque désormais tous liens vers des sites de presse australiens depuis que le législateur lui a imposé de payer pour chaque lien vers un site de presse. Cette actualité nous rappelle s’il en était besoin que les réseaux sociaux entretiennent avec le reste de l’économie une relation du type “je t’aime, moi non plus”. Ok, l’Australie c’est loin et vous ne travaillez peut-être pas dans la presse, mais je vais tenter de vous convaincre pour quelles raisons cela devrait vous préoccuper également.
Comme promis vous trouverez ensuite les résultats du sondage de la semaine dernière sur “faut-il lancer une version audio de cette newsletter ?” auquel vous avez été nombreux à répondre.
Enfin nous parlerons de femmes en mouvement, de planches tendances et de planches de surf.
Bonne lecture !
🎯 Cette semaine
Dans son dernier article Paying for News, Benedict Evans rappelle la dimension holistique de la péripétie australienne. Demander à un intermédiaire de payer pour un lien vers un contenu n’est pas qu’un sujet de commerce ou de droit de la concurrence. Bloquer ou au contraire favoriser les liens vers certains contenus plutôt que d’autre lorsque l’on est une plateforme regardée chaque jour par plus d’un milliard d’individus, ce n’est pas qu’un sujet de relation commerciale, mais un sujet de démocratie et de liberté de l’information. Vous avez sans doute beaucoup lu sur ces questions et vous êtes forgé un avis.
Nous avions pour notre part écrit sur le modèle économique de Facebook ici : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la publicité en ligne… sans jamais oser le demander
Benedict Evans remet les pendules à l’heure : les organes de presse avaient un monopole de l’attention et un quasi-monopole de la publicité jusque dans les années 2000. 20 ans plus tard, ils n’ont plus aucun des deux. Google et Facebook sont devenus des entreprises publicitaires qui séduisent les annonceurs car elles leur apportent une audience qualifiée et des publicités bien mieux ciblées que la télé et la presse (qui a regardé la pub en dernière page de Libé ? Personne ne le sait).
Bien entendu il est tentant d’expliquer le déclin des recettes de la presse par un simple transfert du créateur vers le diffuseur : en diffusant des liens et des extraits d’articles via les partages que font ses utilisateurs, Facebook confisquerait en amont la publicité des journaux. Un peu comme l’auto-stoppeur qui se met à 200 mètres devant vous pour vous piquer les voitures qui s’arrêtent. Sauf que cette affirmation, largement relayée…dans la presse, est fausse. L’essentiel des revenus publicitaires de Facebook et Google proviennent de petites et moyennes entreprises qui n’avaient pas accès à la presse et aux medias mainstream justement. Ceci explique d’ailleurs que depuis le début de la pandémie les réseaux sociaux souffrent moins que les autres medias de la baisse de la publicité.
Internet a détruit le modèle économique de la presse. Boeing n’a pas volé les passagers des paquebots de la Compagnie Générale Transatlantique. Il a révolutionné le transport international, le tourisme et le travail. Vouloir faire payer au premier les déboires du second n’est donc pas une question de concurrence ou de commerce. C’est une question politique. Et en l’occurrence pour la presse également une question démocratique puisqu’elle est le vecteur de la liberté d’expression.
Photo Bruno Martins sur Unsplash.
Le texte de loi australien est donc particulièrement inique et sera sans aucun doute contre-productif. Ce n’est pas la presse qui permet à Facebook de vivre, mais le contraire. Que cela soit intellectuellement déplaisant n’y change rien. D’ailleurs, les fameux “snippets”, petits extraits avec photos apparaissant sur votre statut Facebook quand vous diffusez un article de presse, ne sont pas créés par Facebook mais par le journal qui héberge l’article. Ils sont créés pour pouvoir être partagés sur les réseaux sociaux. De même, ces journaux acceptent de transférer à Facebook les données d’usage sur leur propre site en contrepartie de l’installation d’outils de Facebook permettant de partager plus facilement cet article…sur Facebook.
Ceci explique que le RGPD n’a pas non plus pénalisé Facebook et Google mais les autres diffuseurs. Facebook et Google ne vendent pas vos données à l’extérieur : ils les gardent précieusement pour améliorer le ciblage des publicités qu’ils vous affichent. Les autres medias en revanche…autorisent de très nombreux brokers de données à installer des cookies dans votre navigateur, si j’en crois la liste hallucinante de “tiers” à refuser quand j’ai la curiosité de ne pas cliquer sur “j’accepte” les cookies.
D’ailleurs nous rappelle Benedict, personne n’a jamais payé pour un mettre un lien d’un site web vers un autre site web. Cette possibilité de lier des sites, puis des pages entre elles est même à la base du web moderne. L’algorithme de recherche Google - PageRank - s’est construit sur ces liens. S’il fallait payer pour mettre des liens vers des sites extérieurs, pourquoi ne faudrait-il payer que la presse ? Vous êtes des centaines de milliers (bon, ok : quelques dizaines…) à publier des liens vers cette newsletter dans vos propres contenus : allez vous êtes obligés de me payer pour cela ? Ce serait évidemment une idée séduisante 😊 mais cela conduirait à l’effet inverse recherché. Plus personne ne parlerait et diffuserait mes contenus, et je pourrai arrêter cette lettre au bout de quelques semaines faute de lecteurs. J’ai BESOIN que vous diffusiez cet article.
En quoi tout ceci concerne les activités qui ne sont pas intermédiables par Facebook et Google ? Vous me voyez venir : avec la transformation numérique, de plus en plus d’activités passent en tout ou partie sur le web. Le travail de bureau, le commerce, la restauration, la création, les rencontres, le tourisme…Le mouvement est le même que pour la presse : d’abord le commerçant rechigne à être intermédié par exemple par Deliveroo. Après tout il peut bien gérer tout seul ses commandes et le serveur a un bon vélo pour livrer les plats. Il n’investit pas pour autant dans sa présence en ligne. Puis il se résout à accepter de référencer son restaurant sur la plateforme : ces revenus supplémentaires sont bienvenus les soirs de match de foot. Enfin, le restaurateur se retrouve dépendant des plateformes qui lui apportent un revenu supplémentaire sans investir dans une nouvelle salle. Il est trop tard pour développer sa propre “audience” sans passer par les plateformes et se distinguer du reste des autres commerces : certaines ont même déposé les noms de domaine des restaurants qu’elles distribuent. L’étape suivante : Deliveroo le conseillera sur les plats, les tarifs et les quantités. La plateforme a tellement de données sur tellement de clients… Avant de lui proposer d’utiliser ses propres installations : les dark kitchens, des cuisines “en marque blanche” qui permettent à la fois de préparer les plats destinés aux livraisons mais aussi de gérer les “débordements” de demande comme dans un bon vieux call center.
Et Deliveroo ne paiera pas les restaurants pour afficher leurs plats…
🧐 Et aussi
Vous avez d’ailleurs été 128 à répondre à notre questionnaire de la semaine dernière. En voici les réponses résumées.
Selon vous, est-ce que la newsletter de 15marches devrait proposer une version audio ?
· 43.8% oui, en plus de la version écrite.
· Seuls 2,3% souhaitent remplacer la version écrite par une version audio.
· 30.5% : bof bof.
· 19.5% ont choisi : non.
Vous noterez l’erreur de débutant que j’ai commise en ne proposant que 3 choix (oui -bof - non) alors qu’il faut TOUJOURS en mettre 2 ou 4 (ex. : tout à fait, oui, non, pas du tout). Résultat : les “pour et plutôt pour” considèreront qu’ils sont 74,3% et les “contre et plutôt contre” 50%. Me voilà bien avancé 🤓
110 personnes ont donné leur avis sur le format que pourrait prendre cette version audio, ce qui prouve au moins que même ceux qui ont répondu “non” ont des idées pour les autres :
· 33.6% souhaitent un monologue avec la possibilité de réagir en différé
· 29.1% un monologue de Stéphane qui nous raconte l'édition de la semaine
· 23.6% une conversation à plusieurs.
· 2.7% un monologue avec la possibilité de réagir en direct
· 10.9% autre choix
Qu'est-ce que vous avez en tête ? Format, media, contenus, durée, interactions,...
Vous m’avez soumis 99 idées et je vous en remercie ! Je vois que le sujet vous inspire, et je vais prendre le temps de relire calmement chaque proposition. Ce qui ressort après un rapide examen est la nécessité de faire court (5 à 10 mn), plutôt un résumé de la lettre de la semaine que l’on pourrait “emporter avec soi” en voiture ou dans le métro. La question de l’interaction et le moment de la diffusion méritent réflexion. Quant à une émission en live que vous pourriez commenter en direct, cela ne soulève pas les foules. Je ne rejoindrai pas tout de suite les 95% de streamers sur Twitch qui rassemblent 5 spectateurs ou moins. Dans les recoins de Twitch, le monde touchant des streamers sans spectateur
Quelques propositions aussi de véritables podcasts avec extraits audios et invités. J’aurais du vous montrer mon emploi du temps avant…Pour ClubHouse en revanche je décline provisoirement car le côté réservé aux iPhone ne correspond pas à l’esprit de cette lettre. Enfin, une mention spéciale pour la réponse “la Minute de Monsieur Cyclopède” qui me rassure sur le fait que certains lecteurs ou lectrices ont de solides références dans le spectacle. Pour les autres, regardez ceci : Étonnant non ?
Sur vos pratiques, vous êtes 70% à ne pas utiliser de réseau social audio mais vous passez quasiment tous quotidiennement au moins 30 minutes à écouter des contenus audio (musique, radio, podcasts), une bonne part des répondants y consacrant plus de 3 heures par jour…J’en retiens que, comme pour la lecture, votre espace sonore est déjà bien chargé et qu’il va falloir vous proposer quelque chose de vraiment utile et inspirant pour arriver à se faire une place entre vos deux oreilles…
Conclusion : une version audio de chaque édition de lettre semble la version qui vous conviendrai le mieux a priori. Bien évidemment comme je l’ai toujours fait je vais tester différents formats, bricoler un peu et surtout, observer vos réactions et engagement. Merci encore pour votre participation. La suite dans les prochaines semaines !
🤩 On a aimé
On aime, on partage : l’association Femmes en Mouvement vous propose d’agrémenter vos soirées de couvre-feu avec un Jeu des 7 Familles dédié aux femmes qui comptent dans le secteur de la mobilité. Vue la sous-représentation des femmes dans les métiers du transport toute action visant à leur donner de la visibilité est bienvenue. D’autre part, ce jeu met en avant les métiers de la mobilité dans toutes ses dimensions : le vélo, le ferroviaire, la logistique, l’aérien, le maritime,…Offrez-le à celles (et leurs parents, conjoints,…) qui pensent que ces métiers ne sont pas faits pour elles. Vous pouvez vous les soutenir ici : Le Jeu des 7 familles de la mobilité au féminin
Avis aux chasseurs de tendances : ce moteur de recherche visuel propose des portfolios d’images classées par “énergies” (un peu comme une planche tendances qui serait réalisée automatiquement). La sélection utilise le deep learning : les algorithmes se voient montrer 5 à 20 images “à la main” et recherchent ensuite parmi des millions d’autres celles qui correspondent aux mêmes “ambiances”. Pas de tags sous les images ou de meta-données (photographe, publication, lieux,…). Beaucoup plus difficile à réaliser que de chercher des images de chats ou de mocassins sur le web. Imaginez le potentiel de ce projet à maturité. Same Energy
Une belle série d’émissions audio sur le surf. Ça parle de tubes, de Finistère et de surfeuses. Cet été je m’y mets 🏄🏻♂️ Le surf une vague mondiale.
Et parce que le métro nous fait rarement rêver, promenons-nous dans Les 10 plus belles stations de métro dans le monde. Moscou bien sûr, mais pas que.
C’est fini pour cette semaine.
Avant de partir, n'oubliez pas de mettre un petit 💙 si vous avez aimé cette édition. Vous pouvez aussi partager cette lettre pour la faire découvrir. Merci !
À la semaine prochaine.
Stéphane
La comparaison avec l'écosytème Deliveroo/restaurateurs adhérents ne me semble pas du tout pertinente. Deliveroo apporte un vrai surcroît de chiffre d'affaires aux restaurateurs sans qu'ils investissent, et il y a contrat entre eux et la plateforme avant de démarrer. Facebook n'apporte rien aux organes de presse. Je ne pense pas que découvrir un média par le biais d'un extrait me fasse signer un abonnement avec ce média (sinon, que Facebook le prouve). Facebook a besoin de contenus pour animer sa plateforme ; elle le prélève gratuitement dans la presse en s'octroyant le travail de journalistes payés par le média. C'est Facebook qui s'améliore via des contenus de qualité sans en payer le prix. Et par ailleurs, Facebook ne contracte pas avec les organes de presse. C'est l'exact contre-modèle des plateformes de livraison de repas (qui ne sont pas exemptes de reproches sur d'autres plans.
Ceci-dit, comme j'essaye actuellement de comprendre finement le concept de plateforme, pour en monter une éventuellement, j'apprécie vos articles. Donc je suis prêt à reconnaître mes erreurs d'analyse ; ça me fera progresser dans cette compréhension.