Monétiser la passion
Les artistes et créateurs tiennent-ils enfin leur revanche sur l'industrie musicale et les plateformes avec les NFTs ? Newsletter #144
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💌 Vous et moi
Nous poursuivons le grand écart intellectuel qui caractérise cette newsletter, entre présentation d’une nouvelle tendance numérique et l’analyse critique des politiques publiques en matière urbaines et environnementales. Car pour nous tout ceci fait partie d’une seule et même transformation de la société : tandis que les technologies remettent l’individu au centre de la création de valeur, les institutions publiques restent centralisées, descendantes et peu agiles. Comment faire fonctionner notre société dans ces conditions ? Vers où faut-il la faire évoluer ?
Nous sommes à l’écoute de vos réactions : laissez-nous un commentaire sous ce billet ou en cliquant sur “répondre”. À très vite.
Stéphane
🎯 Cette semaine
Après des années de vaches maigres, ruinés par le piratage et laminés par les revenus du streaming, les artistes tiennent-ils enfin leur revanche sur l’industrie musicale et les plateformes numériques ? Comment cela ? Avec les NFTs. Les quoi ??? Les NFTs, pour non fungible tokens, permettent à un créateur d’émettre une sorte de titre unique, non cessible, d’une valeur que lui même a fixé, en échange de la possibilité d’accéder à sa création. À peu près l’inverse du MP3 reproduit des milliers de fois sans qu’ils voient la couleur de l’argent.
Dans l’exemple cité ci-dessous un groupe de musique commercialise des NFTs à 50$ : ils donnent accès au téléchargement de leur album, à des visuels inédits et un vinyl en édition limitée. On pourrait comparer ces tokens à des cartes Pokémon ultra-rares ou des albums de collection en série hyper limitée. Sauf qu’il s’agit d’une version dématérialisée, une sorte de jeton numérique impossible à copier car résultant d’une série de calculs aussi complexe qu’énergivores (je ne vais pas vous faire un cours sur la blockchain et les ledgers ici car Clément le fait beaucoup mieux que moi : le futur d’internet n’est pas forcément celui que l’on croit). Avantage : les artistes peuvent créer autant de jetons qu’ils le souhaitent, sous réserve bien entendu qu’ils trouvent preneur.
Le sujet est clairement trop nouveau pour pouvoir décrypter à ce jour l’avenir de cette technologie et son impact. Est-ce le dernier truc à la mode qui va faire l’objet d’une spéculation pendant quelques mois et retomber dans l’oubli ? Une nouvelle tentative des acteurs de la blockchain de lui trouver une application concrète et grand public ?
Photo @caughtinjoy sur Unsplash (ne jamais rater l’occasion de montrer de belles guitares)
Dans le cas des tokens, la nouveauté est tout d’abord l’authenticité : de la création initiale aux différentes transactions, le caractère authentique est garanti par la blockchain. Ces possessions peuvent aussi prendre de la valeur, comme le ferait une oeuvre d’art “physique” que l’on posséderait. Ou au contraire ne plus rien valoir du tout. Sans parler des dérives certaines (fraude, escroquerie, surconsommation énergétique) qui se cachent derrière tout nouvel usage dérégulé.
Peu importe au final : ce qu’il faut retenir est l’essor de la passion economy: des outils qui permettent aux créateurs et autres prestataires indépendants de produire, distribuer et monétiser leur travail sans passer par des intermédiaires. Maintenir un lien direct avec leurs fans, comme au bon vieux temps des artistes de rue et autres saltimbanques face au public. C’est l’ambition du Web3, ou web décentralisé, dont les NFTs ne sont qu’un des produits : remettre le créateur au centre du jeu.
Pour aller plus loin sur le sujet :
L’exemple du groupe de musique : WTF is an NFT? Kings Of Leon’s weird non-fungible token thing – explained!
Un article très pédagogique avec des exemples d’usages actuels Why NFTs are suddenly selling for millions of dollars
Sur le potentiel des NFTs pour décentraliser le web et se débarrasser des plateformes-agrégateurs. The Value Chain of the Open Metaverse
Un studio de création de NFTs Metapurse
Un exemple assez dingue d’œuvre d’art numérique (existe aussi en version audio). Mona Lisa. txt
Sur le développement de la Passion Economy : The Passion Economy and the Future of Work
🧐 Et aussi
Pour les uns, ce sera une évidence, pour les autres une découverte : une étude de la très sérieuse Agence d’Urbanisme de Bordeaux révèle que “la majorité des gens qui vivent dans le périurbain l’ont choisi”. Seuls 18% des 1 600 personnes interrogées affirment avoir fait ce choix par contrainte. L’enquête permet de lever un certain nombre d’idées reçues…des urbains sur les périurbains. Beaucoup de ces formes d’habitat ont plus de 50 ans, et les jeunes couples qui construisent aujourd’hui dans ces secteurs vivent souvent près de leurs parents et même grand-parents, sans jamais s’être posé la question d’habiter ailleurs.
À bien y réfléchir, même le vocabulaire utilisé par les urbanistes est biaisé. Parler de péri-urbain signifie dès le départ que la normalité serait d’être un urbain, c’est à dire de vivre en ville. Ne pas y vivre serait une forme de dégradation ou disqualification, forcément subie. Un peu comme le géo-centrisme pré-copernicien qui voyait le soleil et les étoiles tourner autour de la terre. “Mal nommer les choses c’est apporter du malheur au monde” (Albert Camus). Son corollaire est un jugement de valeur sur le caractère forcément non écologiquement- et démocratiquement-correct de cette vie en périphérie : usage immodéré de la voiture, consommation d’espaces, individualisme, manque de vie sociale. Il faudrait '“remettre de la ville” en périphérie, et si possible “garder les populations” en ville. Mais les 15 millions de français du péri-urbain n’entendent pas subir les décisions des autres, comme l’épisode récent des Gilets Jaunes l’a montré. Pour eux, leur lieu de vie représente la normalité, et la ville est l’exception. Le jugement de valeur qu’ils subissent est retourné à l’envoyeur sous la forme d’une critique des centres bétonnés, de l’insécurité et de la déconnexion des élites et autres “bobos” qui y habitent.
Comme pour les anywhere et les somewhere que nous évoquions il y a peu (lire ici) les deux parties semblent d’autant plus irréconciliables qu’elles ne sont même pas d’accord sur les termes du débat : comment réduire l’impact carbone des activités humaines sans créer de crise sociale ? Sous ses airs d’enfoncer des portes ouvertes, cette enquête révèle selon moi l’un des grands enjeux de la décennie : l’écart grandissant entre la vision politique des “bac+5 urbains” et le reste des habitants (et du pays). Qu’en pensez-vous ?
L’article : « La majorité des périurbains sont là parce qu’ils l’ont choisi »
L’étude de l’Agence d’Urbanisme : Être périurbain en Gironde
Et justement, difficile de parler de ces sujets sans évoquer un concept qui revient en permanence ces derniers temps : l’acceptation sociale, cet élément devenu central dans la conduite des projets. L’article ci-dessous parle de la disparition de l’ “espace public” lieu symbolique d’échanges rationnels, submergés par l’échappement libre des réseaux sociaux et des sondages d’opinion. Encore une séparation - symbolique - entre l’agora et la banlieue ? Le pouvoir et le peuple ? Au-delà des symboles, la question porte sur la valeur et le poids de l’acceptation ou acceptabilité sociale dans la prise de décisions : la volonté du peuple est-elle le moteur, ou le produit, de l’action publique ?
Si ce sujet a été poussé sur le devant de la scène avec le rejet des 80 km/h, du vaccin ou plus récemment des applications de traçage, nous y voyons là aussi un enjeu fondamental dans la mise en oeuvre des projets publics. Comment faire accepter des mesures radicales en matière d’urbanisme, de modes de vie, de consommation,…? Il est urgent d’intégrer dans chaque projet des designers, sociologues, ingénieurs sociaux et spécialistes de la concertation. Et pas seulement à la fin des projets pour réparer les dégâts.
L’article : Quand l’acceptation sociale sert de balise à l’action publique
Et un dossier de recherche sur “les mondes de la pratique de l’acceptabilité sociale” : Mettre à l’épreuve l’acceptabilité sociale
Merci @nicolasnova pour les liens !
🤩 On a aimé
Saviez-vous d’où vient le mot “spam” ? Végétariens s’abstenir. What is SPAM anyway ?
Pour les fans d’architecture et d’art, un article anglais sur la rénovation du Centre Pompidou, prévue pour durer 4 ans. Qui nous rappelle utilement la radicalité du projet lors de son choix en 1971 : “un phare de la jeunesse” imaginé justement par deux jeunes architectes, Renzo Piano et Richard Rodgers, et un succès populaire jamais démenti : 20 000 visiteurs par jour, une véritable ville verticale en plein Paris. La photo dans l’article confond les Halles de Baltard et le plateau Beaubourg, mais le reste vaut la lecture. Renzo Piano on remaking the Pompidou
Ce que devait arriver arriva : Zoom devient une plateforme de services. À l’instar d’Airbnb et ses Experiences, Zoom propose aux profs de yoga, organisateurs d’évènements et autres conférenciers de rencontrer leur public sur sa marketplace. Souvenez-vous : chaque application à succès deviendra une plateforme, et chaque plateforme redevient des dizaines d’applications. On Zoom.
Si vous ne l’avez pas déjà vue, cette vidéo d’un plan unique de 90 secondes en mini-drone dans un bowling fera votre journée. Avec les références à un autre film culte, The Big Lebowski, elle préfigure sans aucun doute de futurs mises en scène spectaculaires au cinéma. Hollywood bigwigs shower praise on creators of Minnesota bowling alley drone video
C’est fini pour cette semaine.
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À la semaine prochaine.
Stéphane
Merci Stéphane, un excellent cru que cette lettre du 16 mars :) !!!
Belles guitares à n'en pas douter, et sujets qui m'interpellent notamment les interrogations sur l'influence de l'acceptabilité sociale sur les mesures politiques... Ce serait intéressant d'évaluer les différences entre pays (illustrées par exemple en examinant les méthodes de gestion de la crise sanitaire ?). Bravo pour ce billet hebdo, toujours renouvelé et excellent catalyseur !
A bientôt j'espère
B.O.