Le futur est arrivé près de chez vous
Comment continuer à parler d'innovation alors que tout semble partir en vrille ? Notre billet de rentrée sur le sens que doit prendre cette lettre #195
👨🚀 Tous les mardis, Stéphane décrypte l’impact de la transformation numérique sur l'économie et la société. En savoir plus sur cette lettre : À propos
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C’est arrivé près de chez vous.
Le futur est déjà là : vous l’avez forcément croisé cet été.
Certains disaient qu’il nous restait 3 ans pour agir, d’autres que c’était déjà top tard. On argumentait à coups de dixièmes de degrés de température, de centimètres de niveau de la mer, d’objectifs 2050…on pensait comme toujours maîtriser le temps et la nature. Mais cette décennie qui commence n’est décidément pas comme les autres.
Le dérèglement climatique n’est plus un risque : il est arrivé. Pas pour 2030 ou 2050 : c’est maintenant et tout de suite.
Canicule et pénurie énergétique se conjuguent désormais au présent. Chacun a pu, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, prendre la mesure de ce que l’on voulait éviter dans 30 ans. Le futur est arrivé près de chez nous.
Bien sûr ce sera encore pire plus tard,... mais qui avait imaginé que nos “singes du chaos” y ajouteraient une guerre à nos portes, un chantage à l’énergie, des infrastructures en carafes et une désunion politique,..? On en oublierait presque que ni la pandémie ni le terrorisme n’ont débarrassé le plancher.
Cela m’a rappelé une conversation avec l’explorateur Jean-Louis Etienne au sujet des “deux degrés” de hausse de température qu’il fallait éviter d’atteindre. “Attention, disait-il, il ne faut pas prendre ces deux degrés comme le passage de la température en été de 31 à 33 degrés, ce qui paraît somme toute tout à fait supportable. Il faut le prendre comme le passage de votre propre température corporelle de 37 à 39 degrés. Et là, tout se dérègle. Alors, imaginez 40 ou 41...”
Je ne pense pas avoir besoin de beaucoup en rajouter sur ces constats : vous êtes sans doute déjà sur-informés et je suis loin d’être un expert.
Ce qui nous intéresse est de savoir comment notre société va réagir, s’adapter et trouver ou non les solutions.
💡 C’est ce que nous continuerons à faire ici dans cette lettre : observer la société et analyser les ruptures à l’oeuvre.
Photo : Peter Hermann via Unsplash
Non la grenouille ne meurt pas à petit feu
“Si l'on plonge subitement une grenouille dans de l'eau chaude, elle s'échappe d'un bond ; alors que si on la plonge dans l'eau froide et qu'on porte très progressivement l'eau à ébullition, la grenouille s'engourdit ou s'habitue à la température pour finir ébouillantée” (Wikipedia).
En 1979, dans son ouvrage Mind and Nature, Gregory Bateson se sert de cette “fable de la grenouille” pour se demander si l'être humain, qui modifie petit à petit son environnement, n'est pas dans la situation de la grenouille.
L’image est efficace. Al Gore l’a d’ailleurs reprise dans son documentaire “La Vérité qui Dérange”. Celui où il grimpe dans une nacelle pour suivre l’évolution de la courbe de CO2 et qui lui vaudra un Prix Nobel.
Cette “fable de la grenouille” comme son nom l’indique ne s’appuie pourtant sur aucun élément scientifique. Quand la température monte, la grenouille ne s’engourdit pas : elle s’enfuit ou elle meurt (autour de 40 degrés d’ailleurs, pas 100).
De toute manière, cette fable est désormais obsolète : d’une part la température de l’air ne monte pas “progressivement” mais par à-coups, et la grenouille sait à quoi s’en tenir. Des communes françaises ont été approvisionnées en eau potable par camion. La facture énergétique va devenir dès cet hiver totalement insupportable et on ne pourra pas indéfiniment faire des chèques à rembourser par nos enfants.
Si quelques marginaux contestent encore la réalité du dérèglement et la responsabilité des activités humaines, 80% des Français sont préoccupés par ses effets et sont favorables à des mesures pour y remédier (source). Le temps de la pédagogie est révolu. Tant pis pour celles et ceux qui ne veulent pas comprendre.
Dans les 5 étapes du deuil, le déni fait place à la colère ou à l’abattement. Mais il faut maintenant trouver comment accompagner le changement de modèle, qui passe dans une société libérale et démocratique tant par des innovations de rupture que des changements de comportement. Les unes ne remplaceront pas les autres, mais l’accompagnement des seconds ne sera pas une option.
⚙️ Nous nous efforcerons dans cette lettre d’explorer et documenter les exemples d’adaptation et de nouveaux modèles pour inspirer ceux qui veulent changer.
L’art de perdre
Dans Station Eleven, la romancière Emilie St John Mandel relate la vie quotidienne après “l’apocalypse”, une pandémie (le livre date de 2014) qui a tué plus de 9/10ème de la population. Les survivants se passent d’électricité, de commerces, de médicaments et de moyens de transport. Nous découvrons ainsi la vie quotidienne d’une micro-tribu condamnée à une errance perpétuelle, partagée entre une activité presque dérisoire de représentations théâtrales et la lutte quotidienne contre des pillards, violeurs et autres sectes aussi illuminées que dangereuses.
La population se divise entre ceux qui se souviennent, ceux qui n’ont jamais connu et ceux qui ont préféré oublier. La nostalgie dispute à la fureur de vivre, les couples se font ou se défont, des enfants naissent en route. Des écoles existent, mais à quoi bon apprendre le passé, s’il ne reviendra pas ?
Le livre nous fait prendre conscience de - ou nous rappelle ? - la facilité et le confort dans lesquels nous vivions : presser un interrupteur donne la lumière, remplir un caddie fournit à manger pour la semaine, prendre un avion relie les continents,…tout était si simple. Mais voilà, tout cela était fragile : en quelques jours ce fut balayé.
Ce que je retiens de cette lecture est notre besoin de comprendre ce qui nous entoure. La nature bien entendu, mais aussi notre manière de vivre. L’idée n’est pas de devenir tous survivalistes ou de vivre dans la nostalgie. Mais de réapprendre à faire autrement des choses simples, soi-même et en groupe.
Il faut apprendre à perdre : perdre des facilités, des pans de confort, en particulier ceux qui étaient basées sur l’exploitation d’une rente énergétique ou foncière. Mais aussi perdre cette insouciance, cet aveuglement qui nous empêche de comprendre les bases mêmes de ce qui nous nourrit, chauffe, protège et distrait.
Surtout, il faut rendre ces nouvelles manières de faire fun et attirantes. Regardez le succès des émissions de cuisine : les gens adorent faire à manger. Pareil pour le jardinage, le bricolage, les tutos pour apprendre un instrument de musique ou chanter. Le renouveau du travail manuel, de l’artisanat, n’est pas que la défaite des bullshit jobs. Les gens n’ont pas l’impression de perdre mais au contraire de gagner quelque chose.
🔮 Les récits du futur de Noémie continueront à puiser dans les pratiques émergentes pour vous inspirer de nouveaux usages.
Tech for good, for bad, for ugly ?
Dans les débats qui font rage, on accuse facilement le progrès, et en particulier le progrès technologique. Comme si on pouvait appuyer sur pause pour dire “c’est bon, je suis à l’aise avec le progrès actuel, on peut s’arrêter maintenant”. Seules seraient acceptables les nouvelles technologies ayant un impact positif sur la planète et les humains, les tech for good.
J’ai toujours eu du mal avec le concept de tech for good, qui pré-suppose :
que la technologie pourrait être bonne ou mauvaise indépendamment de l’usage que l’on en fait
que l’on pourrait en évaluer l’usage futur et ses impacts dès sa conception
qu’une sélection pourrait être opérée dès ces premiers jours sur la base des connaissances actuelles, et…par qui ?
Pour avoir passé beaucoup de temps à étudier l’histoire des technologies, aucune des trois affirmations ci-dessus ne me semble pouvoir être validée. Les risques au contraire de “faux négatifs” sont légion. Des Grands Moineaux auto-proclamés nous expliqueront ce qui est Bien ou Mal : des pans entiers de notre avenir seront mis à l’index a priori. Et à l’inverse nous risquons de plébisciter des solutions “mignonnes” parce qu’elles semblent inoffensives. Elles le seront aussi sur les problèmes que l’on cherche à résoudre.
Les technologies sont des pharmakons : elles sont à la fois le poison et le remède. À nous de les dompter sans fascination ni résignation.
Nous avons clairement besoin de régulation, mais celle ci doit avoir l’humilité de reconnaître qu’elle gère une transition dans laquelle plus personne ne sait ce qui est bon ou mauvais. Il faut apprendre en marchant. Prévoir les garde-fous. Privilégier la mise en commun plutôt que la prédation par un petit nombre. Nous n’avons pas le temps de nous passer de nouvelles technologies, mais nous devons apprendre à bien les choisir, les mettre en oeuvre et en contrôler les dérives.
Les pouvoirs politiques devront eux aussi apprendre à perdre leurs certitudes et leurs modes de décision, en revenant aux bases, notamment scientifiques. Mais ils auront aussi besoin de remettre l’audace aux commandes, sous peine d’être réduit au rôle d’orchestre du Titanic.
Les années folles
J’ai conscience d’avoir été bien long et bien trop péremptoire. Écrire sur ce sujet c’est chercher son chemin dans une gare en heure de pointe. Tout le monde a un avis.
Mais je voulais au moins partager mon optimisme. La créativité s’est toujours nourrie de contraintes. Celles que nous vivons semblent insurmontables, mais que dire des dernières “années 20” des siècles précédents ?
En 1815 l’éruption du Volcan Tambora causa 92 000 morts et un été glacial dans une grande partie de la planète. En 24 heures la température passa de 30 degrés à moins de 0, causant famine et désolation dans l’hémisphère Nord. Très peu de gens comprenaient ce qui leur arrivait.
La légende prête à Karl Von Drais l’inventeur de la draisienne en 1817, ancêtre du vélo, l’intention de remplacer les chevaux décimés par le manque d’avoine. La mécanisation de la société allait s’accélérer après cette catastrophe.
Plus proche de nous les années 1920 nous ont apporté un nombre d’inventions technologiques et d’audaces artistiques jamais renouvelées par la suite. Auraient-elles eu lieu sans la prise de conscience de l’horreur de la Première Guerre ?
Laissez-nous croire que les années à venir seront elles aussi riches de créations qui sauront enterrer la période passée et nous projeter dans un nouveau siècle. Ne regardons plus 2050, agissons dès maintenant.
💌 Nous tenterons dans nos lettres chaque semaine de vous emmener sur cette ligne de crête qui sépare un présent angoissant d’un futur désirable, sans complaisance mais aussi sans fatalisme.
Merci d’être là !
🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec le sujet traité cette semaine.
C’est arrivé près de chez vous est le titre d’un OVNI cinématographique de 1992 qui dénonçait la télé-réalité Wikipedia
Les singes du chaos est une métaphore que nous utilisons souvent :
Mais qui sont ces singes du chaos ?
Connaissez-vous la véritable histoire de la grenouille dans l’eau qui chauffe ? Fable de la grenouille - Wikipedia
L’art de perdre est le titre d’un roman d’Alice Zeniter que j’ai beaucoup apprécié (même s’il n’a rien à voir avec notre sujet). L’Art de Perdre - Wikipedia
Station Eleven est un roman d’Emilie St John Mandel publié en 2014 et qui vient d’être adapté en série sur Netflix. Station Eleven
Roman repéré grâce à la liste diffusée avant les vacances par Noémie, comme les plus fidèles l’avaient déjà remarqué.
L’histoire de la draisienne est tirée de l’excellent Two Wheels Good, de Jody Rosen
🤩 On a aimé
Nos trouvailles de la semaine, en vrac et sans détour
SNCF Connect : de l’idée au lancement raté puis au renouveau. Un article de fond sur les défis techniques, organisationnels et de communication. Dans les coulisses du produit de SNCF Connect, l’app qui a déraillé au départ
Du côté des taxis russes, c’est le piratage de l’application la plus utilisée par les chauffeurs qui a créé une pagaille monstre : tous les véhicules ont été appelés en même temps au même endroit. Russian Market sur twitter
Cette artiste belge publie des photos de lieux touristiques en superposant leur fréquentation quotidienne (timelapse). C’est beau comme une visite au Mont St-Michel Natacha de Mahieu
Ces travailleurs du bâtiment ont eux décidé de refaire l’une des photos les plus célèbres du monde (je crois bien que j’avais le poster dans ma chambre d’étudiant) : le déjeuner au sommet d’un gratte-ciel A Slice of History - Twitter
Connaissez-vous GeoGuessr ? Un jeu en ligne dans lequel les participants doivent trouver le plus rapidement possible où se trouve un lieu pris au hasard dans Google Maps. Franchement on se prend une grosse claque sur la capacité d’observation et la culture géographique du jeune champion Every trick a pro GeoGuessr player uses to win
Il y a très exactement 500 ans, un bateau revenait au port de Séville en Espagne avec 18 marins. Parti 3 ans auparavant avec 4 autres navires, il venait de réaliser le premier tour du monde à la voile, guidé par le seul soleil et les étoiles. Suivez son voyage extraordinaire avec cette très belle infographie. Follow the troubled path of the first voyage around the world
C’est fini pour cette semaine.
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👩🏻🚀 Tous les jeudis, Noémie raconte les futurs possibles en fiction.
Pour ma part je dis à la semaine prochaine !
Stéphane
Je suis Stéphane Schultz, de 15marches. Le jour je suis consultant, je prends des trains à travers les plaines. La nuit je lis et j’écris cette lettre.
Super billet, vraiment. L'année démarre fort, je me frotte déjà les mains.
Je retiens en particulier les technologies-pharmakon et "il faut rendre ces nouvelles manières de faire fun et attirantes." On va peut-être enfin utiliser le marketing à des fins utiles. Je ne doute pas que ça marche, d'autant que le terrain est favorable : on a besoin d'activités qui ont du sens, et la consommation n'en fait pas partie.
Vivement mardi.
Hyper énergisante ! Merci :)