Quel avenir pour le modèle publicitaire du web ?
On s'était presque habitué au modèle publicitaire qui nourrit l'écosystème du web depuis 20 ans. L’émergence des interfaces génératives vient souligner ses limites #225
👨🚀 Tous les mardis, Stéphane décrypte l’impact des technologies sur l’économie et la société... En savoir plus sur cette lettre : À propos
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🧭 De quoi allons-nous parler
Après "Google monétise des liens vers des contenus pertinents créés par les autres", voici "ChatGPT propose des réponses à vos questions basées sur les contenus créés par d’autres". Alors que personne ne sait encore si les modèles génératifs vont atteindre rapidement un niveau de qualité suffisant, il est déjà assez simple d’entrevoir la rupture que leur généralisation pourrait provoquer sur le principal modèle économique du web : les liens publicitaires ciblés.
Les questions relatives au respect de la propriété intellectuelle ne pourraient être que la partie émergée de l’iceberg. Ce qui est en jeu est la pérennité du modèle de Google et Facebook, avec le risque d’entraîner avec eux d’autres secteurs comme les médias.
Et si le modèle basé sur la publicité ciblée n’était qu’un colosse aux pieds d’argile ?
🎯 Cette semaine
À chaque lettre un nouveau sujet décrypté : les solutions basées sur les large langage models vont-elles remplacer la recherche sur le web ?
C’était en début d’année : le monde ne parlait plus que des large langage models (ChatGPT & co, lire ici si vous avez raté l’épisode) qui allaient révolutionner la manière dont on cherchait de l’information en ligne. Microsoft et Google étaient attendus au tournant. Leur réplique était prête. Ils présentèrent chacun ce que pourrait être le “futur de la recherche en ligne” : une fenêtre située en haut de la page de recherche qui fournit un texte en langage clair et argumenté en réponse à une question formulée par l’internaute.
À l’époque, Microsoft présentait notamment son investissement dans OpenAI comme une manière de relancer Bing son moteur de recherche. “Le nouveau Bing va examiner les résultats trouvés sur le web pour trouver et résumer la réponse que vous recherchez”. Google ne tardait pas à présenter à peu près le même produit avec son service baptisé BARD - comme le barde, mais il chante pas.
Les commentateurs se sont arrêtés sur les erreurs factuelles relevées dans les réponses présentése, moquant l’incapacité de ces nouveaux services à fournir une information aussi pertinente que les classiques “liens vers des contenus les plus cités sur le web contenant les mots clés recherchés”.
C’était de bonne guerre, tant les présentations avaient raté leur coup. Mais ce qu’ont révélé ces exercices s’avère être potentiellement une bombe dans le monde numérique : la fin du modèle économique du web tel que nous l’avons toujours connu
(insérer : musique dramatique 🥶).
Maintenant que vous avez repris votre souffle, je tenais à rassurer les actionnaires de Google (surtout) et Microsoft : ne vendez pas tout de suite vos actions. Le “search” n’est pas mort et n’est pas prêt d’être remplacé par un “chatbot” plus ou moins créatif sur les résultats.
En revanche, d’autres acteurs semblent avoir parfaitement compris le risque existentiel qu’ils couraient avec une telle innovation : les éditeurs de presse.
Je m’explique. La promesse du service “Generative AI” de Google par exemple est de “distiller une information complexe et des perspectives multiples sous un format facile à digérer”.
Visuel extrait de l’article de The Intelligencer en lien plus bas.
Ça ressemble furieusement à…un article de presse vous ne trouvez pas ?
Les éditeurs de presse ne s’y sont pas trompés. Les principaux se sont réunis récemment avec les différents acteurs des generative AI, à savoir les deux précédents plus OpenAI, Adobe,…
Première revendication des éditeurs de presse : qu’on arrête de “‘moissonner” impunément leurs contenus pour alimenter les large langage models. Derrière ces demandes, il y a - et c’est de bonne guerre - la volonté de percevoir des droits de reproduction sur ces créations et de rester maître de leur diffusion. Ces questions sont déjà entre les mains des juges suite à plusieurs plaintes. Mais Google et Microsoft Facebook ont également développé après des années de batailles juridiques des accords avec certains éditeurs de contenus : les medias traditionnels. Ces accords peuvent se résumer de la manière suivante :
Google (ou Facebook,…) indexe et diffuse des liens vers les articles de presse, en n’affichant qu’une petite partie de ceux-ci (les snippets), paramétrés d’ailleurs par les journaux eux-mêmes.
Les articles reçoivent du trafic en masse de Google, ce qui leur permet de placer publicités, trackers et autres “articles recommandés” pour monétiser l’audience non abonnée
Google de son côté propose également des publicités ciblées sur les pages affichant les contenus de la presse : c’est toujours l’essentiel de son modèle économique.
Compte tenu du déséquilibre évident en termes de trafic, Google “finance” également des actions pour aider la presse.
Je simplifie un dossier complexe mais retenez qu’à ce jour, à quelques exceptions près, la presse et les moteurs de recherche vivent dans une relative symbiose. Chaque acteur a intérêt à la survie de l’autre.
La nouvelle négociation ouverte sur les “résumés textuels en réponse à une question” semble s’inscrire donc dans la droite ligne des accords précédents. Partager le gâteau, maintenir la qualité des contenus et leur diversité. D’ailleurs ce n’est pas pour rien que Google et Bing ont pris bien soin de présenter ces “résumés” en tête d’une page de liens plus classiques. Ces résumés intègrent également à la fin de bons vieux liens hypertexte vers les articles “sources”.
Quand le rêve de l’internaute devient le cauchemar de l’écosystème Google + medias !
Le problème est que, si et seulement si cette nouvelle interface devenait la préférée des internautes, elle aurait le pouvoir de miner l’ensemble du modèle économique de ces protagonistes.
(insérer à nouveau la musique dramatique 🥶)
Pourquoi donc me direz vous ?
Tout d’abord parce que ces résumés sont sans doute très proches de ce que recherchent la majorité des internautes lorsqu’ils “vont sur internet”. En effet, pourquoi se voir proposer des liens à cliquer vers des textes qu’il faudra lire, puis en tirer la matière recherchée, alors que “quelqu’un” pourrait le faire à notre place ?
“Before: You searched, they found. Now: You type in a term or some words or a question or whatever and they, uhh, provide results. Soon, according to these demos: You’ll ask, they’ll answer.” (article du Financial Times en lien plus bas)
Trad. : “Avant : vous cherchez, ils trouvent. Maintenant : vous tapez un terme ou quelques mots ou une question et, euuuh, ils fournissent un résultat. Bientôt, selon les présentations faites par Google & Co : vous demandez, ils répondent”.
Ensuite parce que cette nouvelle expérience nous éviterait la complexité et la pénibilité de ce qu’est devenue l’expérience de recherche sur Google et consorts : des liens sponsorisés, des publicités, des distractions qui semblent autant d’obstacles volontairement posés sur notre chemin vers l’information.
Ne parlons pas de l’expérience épouvantable des journaux en ligne entre dark patterns RGPD, publicités à refermer dans 20 secondes et contenus “ailleurs sur le web” aussi inappropriés qu’agaçants. Le mélange entre vrais articles et vrais pièges à clic est même particulièrement pervers. De quoi miner la confiance dans la presse si vous me permettez de donner mon avis.
Alors, imaginez un peu : une réponse qui “distille une information complexe et des perspectives multiples sous un format facile à digérer”, sans publicité, scrolling pénible ni entourloupe. Ce serait le rêve, non ?
Le disrupteur disrupté
Bien entendu, il reste encore beaucoup d’obstacles à franchir pour que ce rêve devienne réalité. Beaucoup d’entreprises ont perdu beaucoup d’argent en pensant “désintermédier les moteurs de recherche” avec des interfaces de conversation. Les résultats des interfaces génératives sont encore souvent faux voire fantaisistes. Et rien ne dit que l’internaute aura envie de formuler une question plutôt que cliquer sur un lien.
L’essentiel est invisible pour les yeux : Microsoft et Google se retrouvent dans la situation qu’ont connu tellement d’entreprises avant eux. Ils deviennent des incumbents, des sortants, ceux qui sont menacés par l’avènement d’une nouvelle technologie en apparence moins bonne, mais qui fait “juste le job” attendu. Comme ces entreprises, ils sont victimes du dilemme de l’innovateur, coincés entre leurs clients actuels - annonceurs, producteurs de contenus - et leurs nouveaux concurrents.
Et comme ces entreprises, nos géants du web réalisent qu’ils ont contribué eux-mêmes à scier la branche sur laquelle ils étaient assis, en chargeant la mule publicitaire et en s’éloignant de leur dessein premier : rendre accessible l’information du monde entier. À suivre !
Tout cela valait bien un 4ème article sur les LLM en quelques semaines, vous ne trouvez pas ? Je suis curieux d’avoir votre avis sur ces sujets, en commentaire, par retour de mail ou par courrier postal. La lettre ne va pas se transformer en chatbot, mais ne boudons pas le plaisir d’une véritable conversation entre humain.
🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec le sujet traité cette semaine.
La négociation en cours entre géants du web et géants des medias AI and media companies negotiate landmark deals over news content (payant)
et Will Google’s AI Plans Destroy the Media? (gratuit)
En quoi les interfaces génératives peuvent-elles remplacer les liens vers des sites web Google and Bing Are a Mess. Will AI Solve Their Problems?
N’hésitez pas à lire ou relire nos articles précédents sur le sujet : ChatGPT, Mobilité, Musique et Composition musicale
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Stéphane
Je suis Stéphane Schultz, de 15marches. Le jour je suis consultant, je prends des trains à travers les plaines. La nuit je lis et j’écris cette lettre.
Merci ! Tres clair et tres imagé
Un plaisir de vous lire
On sent effectivement poindre une certaine anxiété côté GAFAM avec un management qui semble redevenir assez directif pour éviter l’effondrement (ou pas) que vous décrivez si bien
oui...
ce qui me frappe c'est cette course au reach mais ces médias n'ont pas vocation à être des médias de masse !
tout le monde veut devenir un géant mais franchement, Le Figaro ne sera jamais le TF1 de la news, il ne faut pas se leurrer...