Requiem pour les micromobilités
L'échec des services de deux-roues partagés n'est pas uniquement celui des startups : il souligne l'incapacité des villes à tirer parti des technologies et inventer de nouveaux modèles #247
👨🚀 Tous les mardis, Stéphane décrypte l’impact des technologies sur l’économie et la société... En savoir plus sur cette lettre : À propos
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🧭 De quoi allons-nous parler
Cette semaine le Tribunal de Commerce de Paris devrait rendre sa décision concernant l’avenir de Cityscoot, le service de scooters électriques en libre-service. Cet événement s’inscrit dans une impressionnante suite de licenciements, rachats, fusions et faillites de startups du secteur.
Hasard du calendrier, Uber annonce un bénéfice de 1,9 milliard après 13 années de déficits ininterrompus.
Si la définition des services de micromobilités (trottinettes, vélos et scooters à partager) n’est pas toujours précise, leur point commun semble être… l’échec.
Les plus observateurs me rétorqueront que les scooters n’ont rien à voir avec les trottinettes, qui elles-mêmes diffèrent des vélos, et que le free floating n’a pas le même modèle économique que les services avec station, ... On incriminera le COVID-19, l’inconstance politique, le laisser-aller des opérateurs ou la fin de l’argent pas cher.
Mais force est de constater qu’une fois dissipés les facteurs conjoncturels, ces solutions n’ont pas réussi à se faire la place qu’elles méritaient dans nos villes. Et qu’au lieu de s’en réjouir, on devrait plutôt s’en inquiéter. Car derrière le paravent des échecs commerciaux de telle ou telle startup, c’est l’incapacité des villes à développer des services de mobilité “légers”, décentralisés et tirant parti des technologies qui est criante. La trottinette abandonnée est l’arbre qui cache la forêt de la hausse des émissions de CO2 et de l’absence de solutions pour y remédier.
Alors que l’usage d’applications mobiles pour se déplacer, que l’on soit particulier ou professionnel, fait désormais partie de modes de vie, qu’est-ce qui n’a pas marché dans le mariage entre le numérique, la ville et la mobilité ?
Cela fait maintenant un bout de temps que je m’intéresse aux sujets des mobilités et du numérique. J’ai travaillé en collectivité, bureau d’études, opérateur, collaboré avce des startups et agences d’État. Mon propos n’est pas d’opposer binairement les modes les uns aux autres, et certainement pas les modes “alternatifs à la voiture particulière” entre eux.
La mobilité représente un champ d’investigation particulièrement intéressant pour comprendre les multiples défis qui nous font face. Pas seulement parce qu’en France elle est la première source d’émissions de gaz à effet de serre, mais aussi parce qu’elle voit cohabiter modèles privés et publics, comportements individuels et collectifs, politiques publiques à court et long termes. Si vous ne croyez ni au Grand Soir ni à la main invisible du marché, vous devriez regarder ce qui se passe dans la mobilité.
Ce qui doit nous intéresser est la capacité des organisations à mobiliser les technologies pour atteindre un objectif complexe - en l’occurence permettre à tous de se déplacer sans dépasser les limites planétaires. Et pour celles et ceux qui bloqueraient sur le mot “technologie”, je préciserais si c’est nécessaire que la bicyclette comme la chaussure ou l’ascenseur utilisent des technologies.
Je prendrais donc prétexte de l’analyse de l’échec des services de micromobilités pour en tirer quelques enseignements et questions sur nos capacités à mobiliser les technologies pour résoudre un problème complexe.
Pour cela, je vous propose dans les semaines à venir une série de 4 articles dans lesquels j’essaierai de varier les approches et les styles. Mon objectif est de vous intéresser même si vous ne vous intéressez pas aux (micro)mobilités :
Première partie : Il n’y a pas de silver bullet
Rien ne sert d’attendre telle ou telle invention qui révolutionnera la mobilité. La mobilité est un système complexe et dynamique qui exige de nouvelles coalitions et manières de créer du service.
Deuxième partie : Nous ne sommes pas des vendeurs de tacos
Que se passe-t-il quand des startups cherchent à disrupter les services publics en pensant “faire le bien” ? Quand l’hypercroissance et l’argent facile se heurtent aux murs de la ville.
Troisième partie : La ville n’est pas le web
Les villes ne sont pas “centrées utilisateurs” et leurs décisions ne sont pas “basées sur des données”. En revanche elles savent gérer le temps long et créer des coalitions.
Quatrième partie : Et alors, que faire ? Ce que la ville aurait pu nous apprendre sur le futur des micromobilités
J’ai bien sûr ma petite idée sur ce qui a manqué, mais je compte aussi sur vos commentaires et propositions. On se retrouve la semaine prochaine pour la première partie !
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🧐 Et aussi
Des ressources utiles en lien avec le sujet traité cette semaine.
Le point sur Cityscoot au 23 janvier 2024 - Cityscoot : son fondateur lance un ultime appel aux investisseurs à deux semaines de la date butoir. Le Tribunal de Commerce doit rendre sa décision le 21 février.
The Winner Takes All : concentration dans le secteur des micromobilités - Micromobilité : Tier et Dott en négociations exclusives en vue d'une fusion
Ils produisent des données et analyses essentielles sur les services de mobilités : le blog de Fluctuo1
J’ai été interviewé par Le Figaro sur le miracle économique que plus personne n’attendait - Comment Uber a enfin réussi à gagner de l’argent en 2023, après 13 années de pertes abyssales.
🤩 On a aimé
Nos trouvailles de la semaine, en vrac et sans détour
Génération de texte à partir de texte, d’image à partir de texte, et maintenant de vidéo à partir de texte. Voici Sora, le nouvel outil de génération de vidéos d’OpenAI (CgatGPT, Dall-E). Avec toujours le même questionnement pour moi : “c’est très sympa, mais pour quoi faire ?” - Creating video from text
C’était il y a exactement 100 ans, C-T-R (Computing-Tabulating-Recording) devenait IBM (International Business Machine). L’occasion de se rappeler l’histoire incroyable de cette entreprise lancée dans les années 80 (1880) - 100 Years Ago, IBM Was Born
Plus près de nous Mediamétrie publie l’Année Internet 2023 pour tout savoir sur l’usage du web par nos compatriotes.
Et enfin un effet inattendu du rétrécissement des logements sur une autre micromobilité : vers la fin des trains miniatures ? ‘An aged hobby’: enthusiasts struggle to keep model railway industry on track (via la toujours excellente newsletter d’Estelle Metayer).
💬 La phrase
“I’m so glad/Trouble don’t last always/No it don’t” Eugene Blackwell, in We Know We Have To Live Together
C’est terminé pour aujourd’hui !
À la semaine prochaine, n’hésitez pas à réagir.
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Stéphane
Je suis Stéphane Schultz, de 15marches. Le jour je suis consultant, je prends des trains à travers les plaines. La nuit je lis et j’écris cette lettre.
Avertissement : je suis advisor de Fluctuo depuis 2021
Merci pour ces éclairages et surtout leurs développements à venir.
Je partage les interrogations de Mathilde. Notamment sur la dimension rurale.
Plus qu'en ville, c'est dans les zones peu denses que la mobilité alternatives à la voiture est un réel enjeu. D'autant plus qu'on ne peut y dupliquer les solutions urbaines. Je serais curieux de lire votre éclairage sur ces questions.
On attend la suite avec impatience 👍